Santé et territoires

Titre VII

N° 11 - octobre 2023

Résumé

En apparence, les choses sont simples : la santé est une politique publique élaborée par l’État, applicable sur l’ensemble du territoire national, afin d’assurer un égal accès aux soins. Cependant, à mieux y regarder, on peut dresser un double constat : d’un côté, la santé fait l’objet depuis une dizaine d’années d’un mouvement de territorialisation, fondé sur l’idée selon laquelle il existe des différences épidémiologiques selon les territoires et incarné par les agences régionales de santé ; de l’autre, comme la crise du coronavirus l’a révélé, les collectivités territoriales disposent de quelques compétences dans le domaine sanitaire. Il est dès lors permis de s’interroger sur cette tension entre territoire et territoires en matière de santé.

Les rapports entre santé et territoires sont aujourd'hui placés sous les feux de l'actualité. D'une part, il y a eu le moment « Covid ». La crise sanitaire a braqué le projecteur sur cette question, dont le moins que l'on puisse dire est que, jusqu'alors, elle ne passionnait pas les foules. D'un côté, cet intérêt a été incarné par celui que nous portions à la carte des départements verts, oranges ou rouges, témoignant de différences territoriales dans la circulation du virus. De l'autre, la crise sanitaire s'est accompagnée d'un discours sévère à l'égard de l'État, lequel aurait été coupable de lenteurs, de blocages et de dysfonctionnements. Gérard Larcher, président du Sénat, a pu ainsi affirmer que « la crise sanitaire a montré la réactivité des collectivités territoriales face à un État défaillant »(1). D'autre part, il y a le sujet délicat de la lutte contre les déserts médicaux(2), qui est aujourd'hui sur toutes les lèvres. Sur celui-ci, de nombreuses initiatives ont été prises récemment. On peut citer notamment le rapport de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat d'octobre 2021(3) et la proposition de loi visant à lutter contre la désertification médicale déposée à l'Assemblée nationale le 25 juillet 2022(4). Ces différents éléments d'actualité sont venus questionner les rapports entre santé et territoire(s). Avant de voir s'ils ont conduit à une (r)évolution, deux observations liminaires doivent être formulées.

La première observation porte sur la notion juridique de santé. Celle-ci est définie le plus souvent en s'appuyant sur le préambule de la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, selon lequel il s'agit d'un « état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité »(5). Cette définition présente l'avantage de montrer que la santé ne saurait se limiter aux soins dispensés aux malades et comprend une dimension sociale. Pour autant, elle a un inconvénient, qui tient à son caractère relativement imprécis : la référence au « complet bien-être » peut être considérée comme empreinte d'une indéniable subjectivité. À défaut d'être une notion juridique clairement identifiable, la santé constitue certainement une politique publique, à savoir un programme d'actions mené par plusieurs autorités publiques dans un secteur social donné(6).

La seconde observation est relative à la « territorialisation » de la politique de santé. De manière générale, ce terme doit être entendu comme signifiant l'adaptation des politiques publiques aux spécificités des territoires ou encore la différenciation des politiques publiques en fonction des spécificités de territoires donnés(7). Appliqué au domaine de la santé(8), il implique l'identification par les pouvoirs publics d'un territoire permettant d'analyser les besoins de santé et l'offre sanitaire, mais également celle d'un lieu de pouvoir doté d'une certaine autonomie. Entamé au milieu des années 1990, ce mouvement a conduit le législateur à modifier en 2016 le code de la santé publique pour y introduire un chapitre intitulé « Territorialisation de la politique de santé »(9). Cette territorialisation de la santé publique est justifiée par deux raisons principales. La première raison tient aux inégalités dans l'accès aux soins(10). De multiples facteurs (démographiques, topographiques, économiques) sont à l'origine de situations contrastées avec, d'un côté, des zones particulièrement bien dotées en personnels et en moyens sanitaires et, de l'autre, des déserts médicaux. Dès lors, il est apparu nécessaire d'identifier un territoire pertinent et des outils permettant de corriger localement de telles inégalités. La seconde raison tient aux différences épidémiologiques. Comme le montrent régulièrement les études menées sur le sujet, notamment l'enquête annuelle sur l'état de santé de la population en France, réalisée par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de la Santé(11), des différences sont susceptibles d'être constatées selon les territoires. Ces différences peuvent porter, par exemple, sur le taux de mortalité ou encore sur la prévalence de maladies dans certaines zones géographiques. C'est ainsi par exemple que l'Est de la France est particulièrement sujet aux maladies cardio-vasculaires, notamment pour des raisons d'habitudes alimentaires(12). Ce simple constat conduit à considérer le lieu de résidence comme un déterminant social de la santé et justifie une approche sanitaire différenciée selon les territoires.

Ces deux observations ayant été formulées, il convient de se demander si les rapports entre santé et territoires ont évolué au fil du temps. Cela ne nous paraît pas être le cas. De manière relativement constante, la santé est une politique élaborée au niveau national. Pour autant, cette politique est aujourd'hui largement territorialisée.

I. Une politique élaborée au niveau national

La politique de santé est une « affaire de l'État »(13). Celle-ci est donc élaborée en principe au niveau national. Il convient d'en examiner la justification, puis les conséquences.

A. La justification

Comme le prévoit l'article L 1411-1 du code de la santé publique, « la Nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la santé de chacun ». Celui-ci précise que « la politique de santé relève de la responsabilité de l'État » et qu'une telle politique comprend « la préparation et la réponse aux alertes et aux crises sanitaires ». Sur son fondement, l'État est donc titulaire d'une compétence de principe en matière sanitaire. Celle-ci peut être justifiée par deux motifs principaux.

Le premier motif tient à l'histoire. L'évolution du secteur est marquée par une appropriation progressive par l'État des questions de santé(14). Dès la Révolution française, et malgré l'affirmation de la compétence communale, le décret du 28 juin 1793 relatif à l'organisation des secours crée dans chaque arrondissement des agences de secours et des officiers de santé, afin d'offrir des soins de proximité aux populations les plus démunies. Par la suite, ce mouvement ne cessera d'être renforcé, notamment par la loi du 3 mars 1822, qui confie au roi le soin de prendre les mesures nécessaires à la lutte contre l'épidémie de choléra. De ce point de vue, on ne peut manquer de relever l'importance des épidémies dans l'affirmation de la compétence étatique en la matière.

Le second motif est juridique : il s'agit du principe d'égalité. Contrairement à la manière dont les choses sont parfois présentées, ce n'est pas tant du principe d'égalité devant la loi dont il est question ici, mais plutôt de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946. Aux termes de cette disposition, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé (...) »(15). C'est notamment sur ce fondement constitutionnel qu'il revient à l'État d'assurer sur l'ensemble du territoire national, d'une part, l'égalité dans l'accès aux soins et, d'autre part, l'égalité dans la distribution des soins(16). Ce double objectif constitue d'ailleurs l'un des principaux buts de la politique de santé, laquelle « tend à assurer (...) la réduction des inégalités sociales et territoriales », mais également « l'accès effectif de la population à la prévention et aux soins »(17).

B. Les conséquences

L'affirmation de la compétence principielle de l'État dans le domaine de la santé a pour conséquence principale l'élaboration de la politique sanitaire au niveau national, par le législateur et le ministre de la Santé. La manière dont cette politique nationale est élaborée mérite qu'on s'y arrête sur trois points.

Le premier point tient à ce que ces dernières années, le rythme législatif s'est accéléré avec notamment la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé(18), la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé(19) et la loi du 2 août 2021 sur la santé au travail(20). Naturellement, on peut y ajouter la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de coronavirus(21) et celle du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire(22).

Le deuxième point porte sur la place des collectivités territoriales dans l'élaboration de cette politique nationale, qui apparaît relative. D'un côté, comme le prévoit le code de la santé publique, tout projet de loi portant sur la politique de santé fait l'objet d'une concertation préalable avec l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, les organismes professionnels représentant les mutuelles et unions de mutuelles régies par le code de la mutualité, les institutions de prévoyance et unions d'institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale, l'Union nationale des associations d'usagers du système de santé, mais également « les représentants des collectivités territoriales »(23). De l'autre, la politique de santé est conduite dans le cadre d'une stratégie nationale de santé(24) : mise en place en 2012, cette stratégie définie par le Gouvernement permet de déterminer de manière pluriannuelle les domaines d'action prioritaires et les objectifs d'amélioration de la santé et de la protection sociale contre la maladie. Pour l'aider dans sa tâche, le Gouvernement peut s'appuyer sur la Conférence nationale de santé, organisme placé auprès du ministre de la Santé. Formé de 96 membres, celui-ci a vu sa composition modifiée par le décret du 27 décembre 2019(25), qui a notamment diminué le nombre de représentants des collectivités territoriales.

Le troisième point tient à ce que la politique sanitaire est élaborée au niveau national en période normale, mais également en période de crise. De ce point de vue, la crise sanitaire a été l'occasion d'éprouver le caractère national de la politique sanitaire. Dans un premier temps, il a été fait appel à l'État, d'urgence. Et le Gouvernement a pris des mesures de portée nationale pour faire face à une crise d'ampleur inédite. D'une part, le ministre de la Santé a agi sur le fondement de l'article L 3131-1 du code de la santé publique, issu des lois du 9 août 2004(26) et du 5 mars 2007(27). Selon cette disposition, « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ». Celle-ci institue ainsi une police administrative spéciale de l'urgence sanitaire(28), ayant servi de base légale aux premières décisions prises par le ministre de la Santé pour lutter contre la propagation du virus. Tel fut le cas notamment de l'arrêté du 6 mars 2020(29) ayant permis aux pharmaciens de préparer des solutions hydro-alcooliques en cas de rupture de leur approvisionnement et de celui du 14 mars 2020(30), qui a interdit les rassemblements de plus de cent personnes en milieu clos ou ouvert, fermé les restaurants et débits de boissons et suspendu l'accueil des usagers dans les établissements d'enseignement scolaire et ceux d'enseignement supérieur. D'autre part, le Premier ministre a agi sur le fondement de son pouvoir de police administrative générale(31) en raison des circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de Covid-19. Ce sont précisément ces dernières qui ont justifié l'édiction du décret du 16 mars 2020(32) ayant interdit, sauf exceptions, le déplacement de toute personne hors de son domicile jusqu'au 31 mars 2020. Dans un second temps, il a été fait appel à l'état d'urgence. Les pouvoirs publics ont pu estimer que le droit commun de la police administrative n'était pas suffisant pour endiguer la crise du coronavirus. C'est la raison pour laquelle la loi du 23 mars 2020(33) a créé un régime dérogatoire, celui de l'état d'urgence sanitaire(34). Cette intervention législative a eu pour effet de placer le niveau de décision là où il doit logiquement se trouver s'agissant de mesures de portée nationale, ayant pour objet de restreindre l'exercice de libertés individuelles et collectives.

La politique sanitaire est donc bien le fait de l'État, en période normale ou en période de crise, et se traduit par une politique élaborée au niveau national : le territoire de la santé est donc celui de l'État. Pour autant, cette politique se révèle largement territorialisée.

II. Une politique largement territorialisée

Élaborée à l'échelon national, la politique sanitaire est largement territorialisée. Reste que cette territorialisation prend une forme originale : ce sont les agences régionales de santé, qui en sont les principales actrices, alors que les collectivités territoriales n'exercent que des compétences subsidiaires.

A. Le rôle fondamental des agences régionales de santé

Au regard de la façon dont on a défini la territorialisation, on pourrait penser que les collectivités du même nom seraient chargées de la mettre en œuvre. Ce n'est pas le cas en matière sanitaire, où le rôle fondamental est dévolu aux agences régionales de santé, qui constituent le « pivot territorial des politiques de santé »(35).

Créées par la loi HPST du 21 juillet 2009(36), celles-ci ont succédé aux agences régionales d'hospitalisation mises en place en 1996. En créant les agences régionales de santé, les pouvoirs publics poursuivaient un double objectif(37) : d'une part, assurer une meilleure lisibilité du pilotage de la politique de santé au niveau local, jusqu'alors éclaté entre plusieurs autorités et services ; d'autre part, mieux maîtriser l'offre de soins au niveau local, source de trop nombreuses inégalités pour la population. Ayant suscité des doutes(38), l'appellation d'agence renvoie en réalité à un statut classique d'établissement public. L'article L 1432-1 du code de la santé publique dispose en effet que les agences régionales de santé sont des établissements publics à caractère administratif. Plusieurs éléments attestent du rattachement de ces derniers à l'État : d'abord, ces agences sont placées sous la tutelle des ministres chargés de la santé, de l'assurance maladie, des personnes âgées et des personnes handicapées ; ensuite, leurs directeurs généraux sont nommés par décret en Conseil des ministres ; enfin, leurs conseils d'administration sont présidés par le préfet de région(39).

Les agences régionales de santé exercent deux missions principales, imprégnées par l'idée de territorialisation(40). La première mission consiste à mettre en œuvre au niveau régional la politique de santé définie sur le plan national. Cependant, et c'est important, comme le précise le code de la santé publique, cette mise en œuvre est opérée « en tenant compte des spécificités de chaque région »(41). Ainsi, les agences organisent l'observation de la santé dans la région et définissent et financent les actions visant à promouvoir la santé. La seconde mission est de réguler l'offre régionale de services de santé, afin de « répondre aux besoins en matière de prévention, de promotion de la santé, de soins et de services médico-sociaux, et à garantir l'efficacité du système »(42). C'est dans ce cadre que les agences autorisent la création et les activités des établissements de santé et de certains établissements et services sociaux et médico-sociaux. C'est également dans celui-ci qu'elles doivent d'une part, veiller à ce que la répartition territoriale de l'offre de soins permette de satisfaire les besoins de santé de la population et, d'autre part, mettre en œuvre un service d'aide à l'installation des professionnels de santé. Ainsi, par exemple, lors de la crise du coronavirus, ces agences ont permis la création en quelques jours de services de réanimation là où l'on en manquait et assuré le transfert de patients atteints du Covid-19 d'un bout à l'autre de la France.

À l'occasion de l'épidémie de coronavirus, ces agences ont pu être désignées comme le « bouc émissaire de la crise sanitaire »(43). Leur suppression, envisagée par certains, n'a pas eu lieu. La loi « 3DS » du 21 février 2022(44) s'est contentée de transformer leur conseil de surveillance en conseil d'administration, dont le président demeure le préfet de région. Toutefois, il est assisté de quatre vice-présidents, dont trois sont choisis parmi les représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements(45). La place laissée aux collectivités territoriales en matière de territorialisation de la santé demeure limitée.

B. Les compétences subsidiaires des collectivités territoriales

Lors de la crise sanitaire, les collectivités territoriales ont pu apparaître en première ligne : achat et distribution de masques, création de fonds d'équipement d'urgence pour les professions de santé, installation de centres d'hébergement pour les sans-abris, mise en place de services de téléconsultation pour les centres de protection maternelle et infantile, arrêtés visant à obliger à porter un masque en certaines circonstances, opérations de dépistage pour les personnels et résidents des établissements accueillant des personnes âgées, mise à disposition de locaux et de personnels pour les vaccinodromes, etc. Ces initiatives ont pu laisser penser qu'elles étaient titulaires de nombreuses compétences en matière sanitaire. En réalité, il n'en est rien. De manière stable, les collectivités demeurent titulaires de compétences subsidiaires(46).

D'abord, la commune est certainement la collectivité territoriale dont le rôle est le plus important en matière de santé publique. Cela tient principalement à des considérations historiques, liées à sa situation d'échelon de proximité(47). Deux compétences doivent être relevées. La première compétence est celle de police administrative. Au titre des pouvoirs de police municipale, qu'il tire de l'article L 2212-2 du code général des collectivités territoriales, le maire est habilité à prendre toute mesure pour assurer la salubrité publique. Il lui appartient notamment de « prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux (...), tels les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties (...) ». Cette compétence est cependant limitée par l'existence de polices administratives spéciales confiées à d'autres autorités publiques. Tel est le cas aussi bien en période normale(48), que sous le régime de l'état d'urgence sanitaire(49). La seconde compétence concerne le service communal d'hygiène et de santé. Placé sous l'autorité du maire ou, le cas échéant, du président de l'établissement public de coopération intercommunale, ce service exerce des attributions en matière d'hygiène de l'alimentation et de l'habitat.

Ensuite, le département constitue l'échelon essentiel du dispositif relatif à l'action sociale et médico-sociale(50). C'est à ce titre que le conseil départemental exerce des compétences susceptibles d'intéresser la santé publique. Deux d'entre elles méritent d'être mentionnées. La première compétence concerne les vaccinations obligatoires : c'est le président du conseil départemental qui organise celles-ci, notamment en désignant les médecins concernés et en choisissant les dates et lieux de vaccination(51). La seconde compétence est relative au service de protection maternelle et infantile, dont le conseil départemental est responsable et assure le financement(52). Il faut ajouter à cela que le président du conseil départemental est compétent, d'une part, pour autoriser la création de certains établissements et services sociaux et médico-sociaux fournissant des prestations relevant de la compétence du département et, d'autre part, gérer certains établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Il est à noter par ailleurs, de manière plus générale, que le président du conseil départemental élabore certains schémas d'organisation sociale et médico-sociale, notamment celui relatif aux personnes handicapées. Devant notamment apprécier les besoins sociaux et médico-sociaux de la population concernée, ces schémas doivent être établis « en cohérence » avec le schéma régional de santé élaboré par le directeur général de l'agence régionale de santé(53).

Enfin, la région est dans une « situation paradoxale »(54) : alors même que l'échelon régional a été promu comme cadre principal de l'action sanitaire de l'État au niveau local, le conseil régional ne dispose pour sa part que de compétences relativement modestes(55). Celles-ci s'articulent autour de trois pôles. Le premier pôle est relatif à la prévention sanitaire. Aux termes de l'article L 1424-1 du code de la santé publique, « le conseil régional peut définir des objectifs particuliers à la région en matière de santé. Il élabore et met en œuvre les actions régionales correspondantes ». Le deuxième pôle concerne la formation des professionnels de santé(56). Les compétences exercées sont de deux types. D'une part, le président du conseil régional délivre, après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, les autorisations de création des instituts ou écoles de formation des professionnels de santé, des aides-soignants, des auxiliaires de puériculture, des ambulanciers et des cadres de santé. D'autre part, le conseil régional a la charge du fonctionnement et de l'équipement de ces écoles et instituts, mais également des établissements formant les sages-femmes et les préparateurs en pharmacie hospitalière, lorsqu'ils sont publics(57). Le troisième pôle porte sur la lutte contre les disparités territoriales, certaines zones rurales courant le risque de devenir des déserts médicaux. Pour lutter contre ces derniers, le conseil régional intervient de deux manières. D'un côté, celui-ci peut attribuer des aides destinées à favoriser l'installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones dans lesquelles est constaté un déficit en matière d'offre de soins(58). Une telle compétence ne trouve pas son fondement dans le code de la santé publique, mais dans celui des collectivités territoriales, en l'espèce l'article L 1511-8, qui a été introduit par la loi du 23 février 2005. Il n'est pas anodin de remarquer qu'une telle disposition figure dans un chapitre consacré au développement économique, compétence privilégiée des régions. De l'autre côté, le conseil régional peut attribuer des aides visant à financer des structures participant à la permanence des soins(59).


Les rapports entre santé et territoires demeurent marqués par une certaine constance : la politique de santé est élaborée au niveau national. Sur le sujet, il n'y a pas eu de révolution décentralisatrice, ni avant, ni après la crise du coronavirus. À défaut de révolution, le mouvement de territorialisation de la santé se révèle remarquable en ce qu'il renouvelle l'approche de la politique sanitaire. Reste que ce développement de la territorialisation dissimule mal une certaine ambigüité. À l'origine, le terme « territoire » renvoie à une notion juridique précise : il est l'élément permettant d'identifier un État ou une collectivité territoriale(60). Aujourd'hui, il apparaît plutôt comme le lieu pertinent où les questions sanitaires sont posées et les réponses, élaborées. Cela conduit à brouiller les repères : tout espace se révèle désormais un territoire en puissance.

(1): Cité par E. Galiero et M. Mourgue, « Décentralisation : Gérard Larcher remet 50 propositions à Emmanuel Macron », Le Figaro, 3 juillet 2020.

(2): Sur le sujet, voir S. Brimo et O. Renaudie, dir., Santé et territoire(s), LexisNexis, 2022.

(3): P. Schillinger et P. Moullier, Les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action, rapport d'information n° 63, 14 octobre 2021.

(4): Proposition de loi contre la désertification médicale, Ass. nat., n° 166, 25 juillet 2022. Voir également la proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux, Ass. nat., n° 292, 4 août 2022.

(5): Organisation mondiale de la Santé, Constitution adoptée par la Conférence internationale sur la santé, 1946.

(6): Voir P. Muller et Y. Surel, L'analyse des politiques publiques, Montchrestien, 1998, p. 14-16.

(7): Voir J.-F. Brisson, « La territorialisation des politiques publiques. À propos de quelques malentendus... », RFFP, n° 129, p. 3-10 et J. Moreau, « Esquisse d'une théorie juridique de la territorialisation », RDSS 2009, p. 16-27.

(8): Voir C. Castaing, La territorialisation de la politique de santé, LEH éd., 2012.

(9): Articles L 1434-1 et s. du code de la santé publique.

(10): Voir M.-L. Moquet-Anger, « Territoires de santé et égalité des citoyens », RDSS 2009, p. 116-125.

(11): DREES, « L'état de santé de la population en France », Les dossiers de la DREES, n° 102, 2022.

(12): Voir O. Renaudie, « La coopération sanitaire transfrontalière en Grande Région » in P. Cossalter, dir., La coopération transfrontalière en grande région, EJFA éd., 2016, p. 229-242.

(13): B. Apollis et D. Truchet, Droit de la santé publique, Dalloz, 11e éd., 2022, p. 43.

(14): Voir J. Imbert, Histoire des hôpitaux français, Vrin, 1947.

(15): Comme le souligne le Conseil constitutionnel, « il en découle un objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » (décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022, Loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, n° 8). Sur le sujet, voir B. Mathieu, « La protection de la santé par le juge constitutionnel. À propos et à partir de la décision de la Cour constitutionnelle italienne n° 185 du 20 mai 1998 », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 1999, n° 6.

(16): Voir M. Moquet-Anger, « Territoires de santé et égalité des citoyens », RDSS 2009, p. 116-125.

(17): Article L 1411-1 du code de la santé publique.

(18): Loi n° 2016-41.

(19): Loi n° 2019-774.

(20): Loi n° 2021-1018.

(21): Loi n° 2020-290.

(22): Loi n° 2020-856.

(23): Article L 1411-1 du code de la santé publique.

(24): https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/strategie-nationale-de-sante/article/la-strategie-nationale-de-sante-2018-2022

(25): Décret n° 2019-1483 relatif à la conférence de santé.

(26): Loi n° 2004-806 relative à la politique de santé publique.

(27): Loi n° 2007-294 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur.

(28): Sur cette police spéciale, voir D. Truchet, « L'urgence sanitaire », RDSS 2007, p. 411 et S. Renard, L'ordre public sanitaire. Étude de droit public interne, Thèse, Université de Rennes 1, 2008.

(29): Arrêté du ministre de la Santé portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19.

(30): Arrêté du ministre de la Santé portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19.

(31): CE, 8 août 1919, Labonne, Leb. p. 737.

(32): Décret n° 2020-260 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19.

(33): Loi n° 2020-290 préc. Sur ce texte, voir : J. Petit, « L'état d'urgence sanitaire », AJDA 2020, p. 833 ; X. Dupré de Boulois, « Éloge d'un état d'urgence sanitaire en co-construction », Le Club des Juristes, 26 mai 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com/blog-du-coronavirus/que-dit-le-droit/eloge-dun-etat-durgence-sanitaire-en-co-construction/) ; D. Cristol, « La Covid-19 : à nouveau danger, régimes exceptionnels », RDSS 2020, p. 839-841.

(34): Sur ce régime, voir X. Dupré de Boulois, art. préc.

(35): C. Chauvet, « La nature juridique de l'agence régionale de santé », RDSS 2016, p. 405.

(36): Loi n° 2009-879 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

(37): F. Chauvin, « De l'agence régionale d'hospitalisation à l'agence régionale de santé », RDSS 2009, p. 65-76.

(38): Voir C. Chauvet, art. préc., p. 410.

(39): « Le conseil d'administration est présidé par le représentant de l'État dans la région » (article L 1432-3 du code de la santé publique).

(40): Voir A. Froment-Maire, « Le rapprochement entre ARS et acteurs territoriaux : un partenariat consenti ? » in GRALE, Droit et Gestion des collectivités territoriales, Le Moniteur, 2017, p. 147-157.

(41): Article L 1431-2 du code de la santé publique.

(42): Ibid.

(43): R. Dupré, S. Laurent et S. Jaxel-Truer, Pierre, « Les ARS, bouc-émissaire de la crise sanitaire », Le Monde, 26 avril 2020.

(44): Loi n° 2022-217 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

(45): Article L 1432-3 du code de la santé publique.

(46): Sur le sujet, voir J.-M. Pontier, « La santé entre centralisation et décentralisation », RDSS 2019, p. 669-679 et P. Villeneuve, « Les compétences sanitaires des collectivités territoriales », RDSS 2009, p. 86-97.

(47): Sur ce point, voir J.-M. Pontier, art. préc., p. 672.

(48): S'agissant par exemple de la culture des plantes génétiquement modifiées, le Conseil d'État a précisé que le législateur a organisé en la matière une police spéciale, confiée à l'État, dont l'objet est de prévenir les atteintes à l'environnement et à la santé publique pouvant résulter de la culture de tels organismes : en conséquence, le maire ne peut en aucun cas s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale par l'édiction d'une réglementation locale (CE, 24 septembre 2012, Commune de Valence, n° 342990).

(49): Voir S. Brimo et B. Defoort, « La police générale de la salubrité publique à l'épreuve de l'état d'urgence sanitaire », RDSS 2020, p. 848-856 et G. Le Chatelier, « Le pouvoir de police au temps du Covid-19 », AJCT 2020, p. 247-250.

(50): Voir V. Donier, « L'avenir de la décentralisation de l'action sociale », RFAP 2015, n° 156, p. 1055-1064.

(51): Article L 3110-10 du code de la santé publique.

(52): Article L 2112-2 du code de la santé publique.

(53): Article L 312-4 du code de la santé publique.

(54): D. Tabuteau, « Politiques de santé et territoire », RDSS 2009, p. 10.

(55): Sur le sujet, voir O. Renaudie, « Les grandes régions et la santé » in GRALE, Les grandes régions, Le Moniteur, 2019, p. 191-201.

(56): Voir M. Laforcade, « Les partenariats entre ARS et régions », RDSS 2016, p. 443-450.

(57): Article L 4383 du code de la santé publique. S'agissant des établissements privés, le conseil régional peut participer à leur financement.

(58): Article L 1511-8 du code général des collectivités territoriales.

(59): Voir M. Autès et M.-G. Dufay, « Maisons de santé et aménagement du territoire : une dynamique à partager », Santé publique, 2009, p. 17-25.

(60): Voir L. Delbez, « Le territoire dans ses rapports à l'Etat », RGDIP, vol. 39, 1932, p. 705-738 et L. Janicot, « Le 'territoire' des collectivités territoriales dans la réforme territoriales », Civitas Europa, 2015, n° 35, p. 125-138.

Citer cet article

Olivier RENAUDIE. « Santé et territoires », Titre VII [en ligne], n° 11, Santé et bioéthique, octobre 2023. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/sante-et-territoires