Titre VII

N° 13 - novembre 2024

Le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne dans la consolidation du droit d'accès à la justice environnementale

Résumé

L'accès au juge revêt une dimension cruciale pour garantir l'effectivité des mesures adoptées par l'Union européenne en matière environnementale et, par extension, atteindre l'objectif d'un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement que les traités lui assignent. La présente contribution examine le rôle important que joue la Cour de justice de l'Union européenne dans la promotion de cet accès, à laquelle l'Union s'est engagée en devenant partie à la Convention d'Aarhus. Ce rôle se manifeste dans deux champs distincts. Il s'agit, d'une part, de l'encadrement par le droit de l'Union de l'accès à la justice environnementale dans les États membres, dans les domaines couverts par le droit de l'Union, et, d'autre part, de l'accès au juge de l'Union pour contester l'action de cette dernière au motif qu'elle risque de porter atteinte à la protection de l'environnement ou, plus généralement, aux principes du développement durable. La contribution démontre le soin pris par la Cour de justice de l'Union européenne, au travers essentiellement d'affaires qui lui sont parvenues par voie préjudicielle, à rendre plus effectif l'accès au juge en matière environnementale, tout spécialement pour des associations de défense de l'environnement. Bien que la Cour de justice de l'Union européenne n'hésite pas à mobiliser à ce titre le principe général d'effectivité du droit de l'Union ou le droit à un recours effectif garanti par la Charte, notamment pour éclairer le sens de certaines dispositions du droit dérivé, certains arrêts illustrent les limites que posent d'autres aspects du cadre constitutionnel de l'Union à ce rôle. L'une de ces limites est l'exigence pour la Cour de justice de l'Union européenne d'opérer dans le respect du principe d'équilibre institutionnel, qui circonscrit sa mission au champ judiciaire et ne lui permet ainsi pas de se substituer aux choix du législateur de l'Union dès lors que ceux-ci sont conformes aux traités.

La réflexion sur le rôle de la justice pour la préservation de la planète que nous léguerons aux générations futures, objet du présent numéro de la revue Titre VII, évoque la posture éthique que préconisait Bernard Werber dans l'un de ses romans :

« Les civilisations passées nous contemplent, mais : Les générations futures nous jugeront. Ne les décevez pas. Soyez en avance d'une mentalité sur celle de vos ancêtres. Nous n'avons pas de comptes à rendre à nos parents, mais à nos enfants. »(2)

Cette réflexion est urgente au vu des signaux de plus en plus préoccupants que nous renvoient les données collectées par les scientifiques et la multiplication des catastrophes naturelles provoquées par des événements climatiques extrêmes. Elle doit nous permettre d'affiner notre conception de la responsabilité du juge et singulièrement celle du juge constitutionnel dans la promotion des diverses dimensions du développement durable. Cet exercice demeurerait incomplet sans une perspective européenne et internationale, tant les défis de la protection de l'environnement et du climat sont indifférents aux frontières. La présente contribution vise ainsi à mettre en lumière la pierre qu'apporte la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la « Cour ») à l'édifice d'une Europe respectueuse du principe du développement durable, qui figure désormais en bonne place dans le droit primaire de l'Union(3). Compte tenu des contraintes éditoriales, elle se concentre sur l'accès à la justice en matière environnementale stricto sensu et ne traite dès lors qu'à la marge le droit à l'information environnementale ainsi que la participation des particuliers – notamment, des associations de défense de l'environnement – au processus décisionnel en cette matière(4).

L'Union européenne a significativement accru ses actions en matière environnementale au cours des deux dernières décennies(5). Elle concrétise par-là plusieurs objectifs qui lui sont assignés par les traités, consistant à « œuvre[r] pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée », à assurer « un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement » et, dans ses relations avec le reste du monde, à « contribue[r] [...] au développement durable de la planète »(6). Cet investissement dans la sphère « matérielle » du droit de l'environnement a mécaniquement accru le rôle de la Cour en matière environnementale. Alors que les affaires traitant de questions environnementales étaient plutôt rares jusque dans les années quatre-vingt-dix, elles font désormais partie du quotidien des juridictions de l'Union européenne(7), en particulier dans le cadre de renvois préjudiciels. L'importance de la procédure du renvoi préjudiciel pour l'effectivité des normes environnementales de l'Union européenne doit être soulignée. Si les particuliers, notamment les associations de défense de l'environnement, ne peuvent pas contester directement des violations alléguées de normes environnementales de l'Union européenne, ceci n'exclut pas l'invocation de telles violations devant les juridictions nationales et, par extension, une clarification par la Cour de la portée des exigences découlant de ces normes(8). La Cour est, par ailleurs, régulièrement saisie de recours en manquement visant la violation alléguée, par des États membres, des obligations environnementales mises à leur charge par le droit de l'Union européenne(9). De tels recours contribuent aussi à la poursuite des objectifs environnementaux de l'Union européenne(10).

L'Union européenne a toutefois, de longue date, également investi la sphère « procédurale » du droit de l'environnement, sans laquelle l'effectivité des normes matérielles en la matière serait illusoire. Cet investissement fait écho à ses engagements internationaux, puisque l'Union est, ensemble avec ses États membres, partie à la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement (Convention d'Aarhus)(11). Cet instrument de droit international, de toute première importance, vise à renforcer le droit non seulement des citoyens mais aussi des associations de défense de l'environnement de contester en justice des mesures susceptibles d'avoir des incidences négatives sur l'environnement(12). L'impact normatif de cette Convention se décline toutefois de deux manières distinctes en droit de l'Union, qui correspondent aux deux champs d'intervention de la Cour dans la consolidation du droit d'accès à la justice environnementale. Il s'agit, d'une part, de l'encadrement par le droit de l'Union européenne de l'accès à la justice environnementale dans les États membres (A), et, d'autre part, de l'accès au juge de l'Union européenne pour contester l'action de l'Union européenne elle-même lorsqu'il est allégué qu'elle risque de porter atteinte aux objectifs environnementaux que lui assignent les traités (B).

A) Encadrement des règles relatives à l'accès à la justice environnementale dans les États membres

Doivent être ici distinguées les voies de recours direct contre des mesures prises par des autorités publiques nationales, voire contre leur inaction, et relevant du droit de l'environnement de l'Union européenne (1) et l'action en réparation d'éventuels dommages causés par un État membre ou par des « particuliers » – singulièrement des entreprises – ayant agi en violation de normes environnementales de l'Union européenne (2).

1.Recours directs devant les juridictions nationales

S'agissant des recours directs, l'une des questions centrales tient à la qualité pour agir dans le cadre de procédures nationales relatives au droit de l'environnement. Par son interprétation de la Convention d'Aarhus ainsi que de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après la « Charte ») dans des litiges du droit de l'environnement, la Cour a joué un rôle crucial dans la promotion d'un accès effectif à la justice dans ce domaine, notamment en faveur des associations de défense de l'environnement.

Le célèbre arrêt Lesoochranárske zoskupenie IOurs brun »)(13) en fournit une première illustration. La Cour y a souligné que les dispositions de la Convention d'Aarhus s'imposent aux États membres en vertu du droit de l'Union lorsque celle-ci a exercé sa compétence dans les domaines couverts par ces dispositions. Tel est le cas de l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus. Cette disposition édicte l'une des règles cardinales de cette Convention, à savoir que « [...] chaque partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d'autorités publiques allant à l'encontre des dispositions du droit national de l'environnement ». La Cour était interrogée sur le point de savoir si une association slovaque de défense de l'environnement pouvait invoquer ladite disposition pour obtenir le statut de « partie » à une procédure administrative concernant l'octroi de dérogations au régime de protection d'espèces telles que l'ours brun, établi en application de la directive « habitats ». Elle a tout d'abord confirmé que l'Union avait exercé sa compétence dans le périmètre normatif couvert par l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus s'agissant de procédures conduites au niveau national mais régies par le droit de l'Union, et ce même si aucun acte de l'Union n'avait spécifiquement mis en œuvre cette disposition en ce qui concerne la participation à de telles procédures et la contestation en justice de leur résultat(14). Ayant confirmé sur cette base sa compétence pour interpréter cette disposition, la Cour a considéré qu'elle n'était toutefois pas suffisamment claire, précise et inconditionnelle pour produire un effet direct, ce qui ne dispensait cependant pas les juridictions des États membres de leur obligation d'interpréter, dans toute la mesure du possible, les dispositions procédurales nationales d'une manière conforme aux objectifs de cette Convention, et ce « afin d'assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union de l'environnement »(15).

L'arrêt Lesoochranárske zoskupenie II, prononcé quelques années plus tard, concernait cette fois l'article 9, paragraphe 2, de la Convention d'Aarhus(16). Cette disposition confère un droit de recours en justice aux associations de défense de l'environnement qui répondent aux exigences visées à l'article 2, paragraphe 5, de cette Convention(17), dans la mesure où le recours est dirigé contre une décision qui relève du champ d'application dudit article 9, paragraphe 2. Ceci concerne par exemple les décisions d'admettre ou non des membres du public à une procédure d'autorisation préalable d'un plan ou projet susceptible d'affecter de manière significative un site protégé au titre de la directive « habitats »(18). Dans le litige au principal était en cause une interprétation des règles procédurales slovaques selon laquelle l'introduction d'un recours contre une décision administrative refusant à une association de défense de l'environnement la qualité de partie à une telle procédure d'autorisation ne faisait pas obstacle à ce que cette procédure soit définitivement clôturée. Cette interprétation impliquait aussi le rejet automatique du recours en cas d'octroi de l'autorisation sollicitée. Se référant à l'objectif de l'article 9, paragraphe 2, de la Convention d'Aarhus, à savoir assurer un large accès à la justice en matière de recours contre des décisions environnementales, la Cour a jugé qu'une telle interprétation n'était pas conforme à cette disposition, interprétée à la lumière de l'article 47 de la Charte. Elle a également précisé qu'une telle association, recevable à agir, doit pouvoir contester non seulement la décision de ne pas procéder à une évaluation appropriée des incidences du plan ou du projet considéré sur le site concerné, mais également, le cas échéant, l'évaluation réalisée en ce qu'elle serait entachée de vices(19)

La Cour a ajouté que la circonstance que l'association concernée n'ait pas participé à la procédure administrative ayant conduit à l'adoption de la mesure en cause ne devrait pas l'empêcher d'introduire un recours en justice contre celle-ci, la participation au processus décisionnel et l'exercice d'un recours juridictionnel en matière environnementale poursuivant deux finalités distinctes(20). Elle a ici aussi veillé à promouvoir l'effet utile de la Convention d'Aarhus, consistant à assurer un « large accès à la justice » pour le public concerné.

Ces exemples montrent que le cadre normatif offert par la Convention d'Aarhus a permis à la Cour de promouvoir l'accès des associations de défense de l'environnement à la justice environnementale davantage que n'a pu le faire la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, selon l'interprétation donnée par cette dernière juridiction de la notion de « victime » visée à l'article 34 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »), ne sont couvertes que les personnes « directement affectées » par la violation alléguée, telle qu'une violation du droit au respect de la vie privée et familiale garanti à l'article 8 de la CEDH(21). Cette approche signifie qu'une association de défense de l'environnement n'est en règle générale pas considérée comme « victime » d'une violation de la CEDH dans des litiges présentant un lien avec la protection de l'environnement, et ne peut donc se prévaloir d'une telle violation(22).

La Convention d'Aarhus pose également comme exigence que les procédures visées à son article 9 offrent « des recours suffisants et effectifs, y compris un redressement par injonction s'il y a lieu », et soient « objectives, équitables et rapides sans que leur coût soit prohibitif »(23). Ceci concerne en particulier les recours devant une instance judiciaire pour contester la légalité, quant au fond et à la procédure, de toute décision, tout acte ou toute omission tombant sous le coup des dispositions de l'article 6 de la Convention d'Aarhus.

L'arrêt Deutsche Umwelthilfe I(24) a permis à la Cour de préciser cette exigence. Cet arrêt avait pour toile de fond le défaut persistant du Land de Bavière d'adopter des plans d'action requis par la réglementation de l'Union européenne en matière de qualité de l'air(25). Une association de défense de l'environnement avait contesté cette situation en justice, suite à quoi le Land de Bavière avait reçu injonction d'adopter de tels plans sous peine d'astreintes. Ce Land ne s'était pourtant pas conformé à ces injonctions, son ministre‑président ayant publiquement fait part de son intention de ne pas respecter les obligations relatives à l'imposition d'interdictions de circulation de certains véhicules à moteur diesel dans diverses zones urbaines. La juridiction de renvoi s'interrogeait sur le point de savoir si l'effectivité du droit de l'Union européenne, et notamment les exigences posées par la Convention d'Aarhus, pouvaient requérir que ce ministre-président soit soumis à une mesure privative de liberté.

La Cour a rappelé que le droit à un recours prévu à l'article 9 de la Convention d'Aarhus concrétise, dans le domaine du droit de l'environnement, le droit à un recours effectif consacré par l'article 47, premier alinéa, de la Charte. Or, ce droit serait illusoire si l'ordre juridique d'un État membre permettait qu'une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante. Il importe ainsi que le juge dispose d'instruments procéduraux de nature à permettre d'assurer l'effectivité des décisions judiciaires, notamment par « l'imposition d'astreintes d'un montant élevé, répétées à courte échéance, et dont le paiement ne se ferait pas, en fin de compte, au bénéfice du budget dont elles proviennent »(26). Cela étant, ce droit à un recours effectif doit être concilié avec d'autres droits fondamentaux, dont le droit à la liberté. Les limitations à ce dernier sont soumises au respect du principe de légalité des peines ainsi que du principe de proportionnalité prévu à l'article 52, paragraphe 1, de la Charte, ce qui signifie que le juge doit vérifier qu'il n'existe aucune mesure moins contraignante permettant d'atteindre l'objectif poursuivi. La Cour a ajouté que la pleine efficacité du droit de l'Union et la protection effective des droits que les particuliers en tirent peuvent aussi, le cas échéant, être assurées par le principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l'Union qui lui sont imputables(27).

Une dernière illustration de l'importance du rôle de la Cour dans la définition des droits procéduraux des associations de défense de l'environnement est l'arrêt Deutsche Umwelthilfe II, prononcé en 2022(28). Cet arrêt s'inscrit dans le contexte du « Dieselgate », ayant consisté pour plusieurs constructeurs automobiles à équiper des véhicules diesel de logiciels réduisant l'efficacité du système de contrôle des émissions de gaz polluants lors de températures habituelles et durant la majeure partie de l'année. Deutsche Umwelthilfe, une association allemande de défense de l'environnement, avait introduit un recours devant un tribunal administratif en Allemagne en vue de contester une décision modifiant la « réception CE par type » d'un modèle de voiture suite à une adaptation du logiciel de contrôle des émissions. Elle estimait que cette adaptation ne rendait pas le véhicule pleinement conforme aux exigences posées par la réglementation de l'Union. Le tribunal administratif allemand doutait de la qualité pour agir de cette association, au regard de la condition tenant au respect des « critères éventuels prévus par [le] droit interne » inscrite à l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus. En effet, le droit allemand pertinent prévoyait que les associations de défense de l'environnement n'avaient qualité pour agir qu'à l'encontre de certaines catégories de décisions, dont ne relevait pas la décision modifiant la réception CE par type en cause.

La Cour a commencé par rappeler qu'une décision administrative telle que celle en cause relève du champ d'application matériel de cette disposition, dès lors qu'elle constitue un « acte » d'une autorité publique dont il est allégué qu'il irait à l'encontre des dispositions du « droit national de l'environnement »(29). Elle a également confirmé qu'une association telle que Deutsche Umwelthilfe faisait partie du « public concerné » au sens de la Convention d'Aarhus(30). Or, si l'article 9, paragraphe 3, de cette Convention permet aux États membres de fixer des critères portant sur la détermination du cercle des titulaires d'un droit de recours et ne remplit ainsi pas les conditions requises par la jurisprudence de la Cour pour produire un effet direct, lesdits États ne peuvent, en revanche, pas réduire le champ d'application matériel de cette disposition en excluant purement et simplement de l'objet du recours certaines catégories de mesures(31). La Cour a ajouté que, même si une interprétation du droit national conforme à cette disposition n'est pas possible, le droit à un recours effectif garanti par l'article 47 de la Charte « se suffit à lui-même et ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l'Union ou du droit national pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel », si bien qu'il « peut être invoqué en tant que limite au pouvoir d'appréciation qui est laissé aux États membres en vertu de l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus »(32). Ainsi, une association de défense de l'environnement telle que Deutsche Umwelthilfe, répondant de manière générale aux critères prévus par le droit national pour engager les procédures judiciaires visées à l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus, doit en tout état de cause être en mesure de contester une décision accordant ou modifiant la réception CE par type d'un véhicule et susceptible d'être contraire à la réglementation de l'Union(33). Cet arrêt illustre la fonction essentielle que l'article 47 de la Charte peut revêtir en vue de promouvoir l'accès à la justice environnementale pour les associations de défense de l'environnement, pour autant que la qualité d'une telle association pour agir en justice soit, quant à son principe, prévue par le droit dérivé de l'Union ou le droit national mettant en œuvre celui-ci.

2. Le droit à réparation

La possibilité d'engager la responsabilité de l'État ou d'opérateurs privés pour des violations du droit de l'environnement de l'Union constitue un autre facteur ayant une incidence sur l'effectivité de celui-ci.

Une importante clarification est intervenue à cet égard dans l'arrêt Ministre de la Transition écologique et Premier ministre, prononcé le 22 décembre 2022(34). Selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité d'un État membre pour violation du droit de l'Union exige que la règle du droit de l'Union violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers qui se prévalent de cette violation, que la violation de cette règle soit suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le dommage subi. Dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, une personne résidant en région parisienne souhaitait obtenir l'indemnisation de préjudices liés à la détérioration de son état de santé qu'elle imputait à la méconnaissance, par les autorités françaises, de normes de qualité de l'air fixées par la réglementation de l'Union. La Cour était invitée à préciser si cette réglementation avait pour objet de conférer des droits aux particuliers.

Contrairement à certaines constitutions nationales(35), les traités ne consacrent pas de droit subjectif à un environnement sain. L'article 37 de la Charte énonce plutôt le principe selon lequel « [u]n niveau élevé de protection de l'environnement et l'amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l'Union et assurés conformément au principe du développement durable ». La « justiciabilité » du principe énoncé à cet article 37 de la Charte est limitée à l'interprétation ou l'examen de validité d'actes de l'Union « mett[a]nt en œuvre » celui-ci, ou d'actes des États membres mettant en œuvre le droit de l'Union(36). Ce principe ne confère en revanche aucun droit aux citoyens ainsi qu'aux associations qu'ils forment d'enjoindre les institutions de l'Union à agir aux fins de la protection de l'environnement(37).

Dans l'arrêt Ministre de la Transition écologique et Premier ministre, la Cour n'a pas exclu que le législateur de l'Union confère aux particuliers un droit subjectif à ce que les objectifs environnementaux qu'il fixe soient atteints. Tel n'est toutefois pas le cas des normes de qualité de l'air en cause dans cette affaire, lesquelles poursuivent « un objectif général de protection de la santé humaine et de l'environnement dans son ensemble »(38), sans comporter d'attribution explicite ou implicite de droits aux particuliers ou à des catégories de particuliers dont la violation serait susceptible d'engager la responsabilité d'un État membre(39). La Cour a ainsi veillé à rester fidèle aux choix posés en cette matière par le législateur de l'Union, dans le respect du principe d'équilibre institutionnel(40) qui l'empêche d'outrepasser sa mission juridictionnelle.

Cela étant, la Cour a nuancé ce constat par le rappel des enseignements des arrêts Janacek(41) et ClientEarth(42), dont il découle que les personnes physiques ou morales directement concernées par un risque de dépassement de valeurs limites ou de seuils d'alerte en matière de qualité de l'air ambiant doivent pouvoir obtenir des autorités compétentes, le cas échéant, en saisissant les juridictions compétentes, qu'un plan d'action soit établi dès lors qu'un tel risque existe. Cette jurisprudence fait écho aux exigences posées par l'article 9, paragraphe 4, de la Convention d'Aarhus rappelées plus haut.

Cette ligne jurisprudentielle encadrant la responsabilité de l'État pour des violations du droit de l'Union en matière d'environnement ne doit pas faire oublier le soin pris par la Cour, dans d'autres arrêts, pour faciliter l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle d'opérateurs privés lorsque ceux-ci occasionnent des dommages à l'environnement causés par des violations du droit de l'Union. Le récent arrêt Mercedes-Benz Group (Responsabilité des constructeurs de véhicules munis de dispositifs d'invalidation)(43), en fournit une illustration. Un consommateur avait acquis en Allemagne un véhicule diesel équipé d'un dispositif d'invalidation illicite, au sens de la réglementation de l'Union relative à la réception des véhicules(44) et déjà évoqué dans le cadre de l'analyse de l'arrêt Deutsche Umwelhilfe II. Le propriétaire du véhicule entendait obtenir un dédommagement du constructeur. Toutefois, la juridiction allemande saisie du recours éprouvait des doutes à cet égard, car la base juridique en droit allemand invoquée par le requérant ne prévoyait en principe la responsabilité du constructeur qu'en cas de violation d'une « loi destinée à protéger autrui »(45). S'appuyant sur l'arrêt Deutsche Umwelhilfe II, précité, la Cour a précisé que l'interdiction d'utiliser des dispositifs d'invalidation réduisant l'efficacité des systèmes de contrôle des émissions « poursuit, tout comme le règlement dans lequel elle s'insère, un objectif général consistant à garantir un niveau élevé de protection de l'environnement »(46). Toutefois, il ressort des dispositions et annexe de la directive-cadre sur la réception des véhicules à moteur consacrées au certificat de conformité que ce dernier a précisément pour objet de faciliter l'immatriculation des véhicules dans l'Union, en attestant de la conformité d'un véhicule à sa réception par type, et donc à protéger « les intérêts particuliers de l'acheteur individuel d'un véhicule à moteur vis-à-vis du constructeur de celui-ci lorsque ce véhicule est équipé d'un dispositif d'invalidation interdit »(47). Bien qu'il appartenait à la seule juridiction de renvoi de tirer les conséquences de ces précisions dans le litige au principal, celles-ci permettaient néanmoins de considérer que la réglementation de l'Union en cause répondait à la condition posée par le droit allemand pour engager la responsabilité quasi-délictuelle d'un opérateur privé.

La Cour a également précisé que, en l'absence de mesures d'harmonisation à l'échelle de l'Union quant aux modalités de mise en œuvre d'une telle responsabilité, ce sont les États membres qui doivent fixer celles-ci(48), mais que le droit national ne peut pas rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l'obtention d'une réparation adéquate pour des dommages causés à l'acheteur par la violation, par le constructeur de ce véhicule, de l'interdiction des dispositifs d'invalidation illicites(49). Cette précision est assez remarquable. Bien que relevant de la protection de l'environnement au sens large, la réglementation de l'Union en cause était a priori d'ordre assez technique. Elle ne prévoyait comme telle aucun rapprochement législatif visant à garantir un droit à réparation pour les particuliers. Ceci n'a pas empêché la Cour de mobiliser le principe d'effectivité du droit de l'Union au soutien de la promotion du niveau élevé de protection de l'environnement poursuivi par celui-ci.

B) La contestation en justice de mesures de l'Union au regard des exigences de protection de l'environnement

L'encadrement de l'accès à la justice environnementale en vue de contester l'action de l'Union elle-même est, pour l'essentiel, régi par le règlement n° 1367/2006 concernant l'application aux institutions et organes de l'Union des dispositions de la Convention d'Aarhus(50). L'effectivité de cet accès dépend beaucoup de la possibilité d'obtenir les informations environnementales contenues dans les documents en possession des institutions de l'Union, possibilité qui est régie par ce même règlement ainsi que par le règlement « transparence »(51). Pour les raisons exposées en introduction, ce sujet important ne peut toutefois pas être traité ici.

Le règlement n° 1367/2006 a connu une profonde réforme en 2021. Pour en comprendre les motifs, il convient de rappeler les conditions strictes dans lesquelles l'article 263 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet aux particuliers, notamment les associations de défense de l'environnement, de contester la légalité d'actes de l'Union. Aux termes du quatrième alinéa de cet article, toute personne physique ou morale peut former un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d'exécution. Or, la condition selon laquelle une personne physique ou morale est « individuellement » concernée par un acte de l'Union, tel qu'un acte réglementaire ou une décision adressée à autrui, n'est satisfaite que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. L'acte de l'Union doit, en substance, individualiser une personne comme si elle en constituait le destinataire, ou à tout le moins l'un des destinataires(52). Cette condition de recevabilité, qui est fixée par le droit primaire de l'Union et qui ne peut dès lors être assouplie par la Cour(53), a formé un important obstacle à l'introduction de recours directs par des particuliers en vue de contester la légalité d'actes de l'Union adoptés dans le domaine de la protection de l'environnement ou d'actes dont il est allégué qu'ils peuvent avoir une incidence négative sur ce dernier.

Cette situation a conduit le comité d'examen du respect des dispositions de la Convention d'Aarhus à constater en 2017, à la suite d'une plainte présentée par une association de défense de l'environnement, que l'Union ne respectait pas ses engagements internationaux pris au titre de l'article 9, paragraphes 3 et 4, de la Convention d'Aarhus(54). Ce constat se fondait en particulier sur l'arrêt de la Cour dans l'affaire Stichting Milieu(55). Celui-ci concernait l'interprétation de la version initiale de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006, aux termes duquel « [t]oute organisation non gouvernementale satisfaisant aux critères prévus à l'article 11 est habilitée à introduire une demande de réexamen interne auprès de l'institution ou de l'organe communautaire qui a adopté un acte administratif au titre du droit de l'environnement ou, en cas d'allégation d'omission administrative, qui était censé avoir adopté un tel acte »(56). Le problème résidait dans la définition de la notion d'« acte administratif » au titre de ce règlement, qui paraissait exclure les actes à caractère réglementaire(57).

Milieudefensie, une association néerlandaise de défense de l'environnement, et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, une fondation de droit néerlandais, avaient introduit auprès de la Commission une demande de réexamen interne d'une décision de cette institution ayant reporté certaines exigences du droit de l'Union applicables aux Pays-Bas en matière de valeurs limites de certains polluants de l'air ambiant. La Commission avait néanmoins déclaré cette demande irrecevable, au motif que cette décision ne pouvait être regardée comme un acte à caractère individuel(58). Saisi d'un recours contre cette décision d'irrecevabilité, le Tribunal de l'Union européenne a considéré « qu'une procédure de réexamen interne qui ne concernerait que les mesures de portée individuelle aurait une portée très limitée [et] n'est [dès lors] pas justifiée »(59). Il a dès lors déclaré la procédure de réexamen interne prévue à l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006 incompatible avec l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus dans la mesure où elle se limitait au réexamen de décisions individuelles. La Cour a toutefois annulé cet arrêt du Tribunal, pour un motif lié non pas au fond du problème de validité soulevé mais à la circonstance qu'il ne pouvait être considéré que l'Union, en adoptant l'article 10, paragraphe 1, de ce règlement, avait entendu mettre en œuvre les obligations découlant de l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus. Conformément à une jurisprudence bien établie, ceci excluait ab initio un examen de validité de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006 à la lumière de l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus(60). C'est en suivant une approche analogue que le Tribunal, dans un arrêt plus récent, a jugé qu'une association de défense de l'environnement n'avait pas qualité pour demander le réexamen interne d'un règlement d'exécution de la Commission ayant renouvelé l'approbation du très controversé glyphosate(61).

L'interprétation de l'article 10 du règlement n° 1367/2006 dans l'arrêt Stichting Milieu a constitué l'un des principaux éléments dont le comité d'examen du respect des dispositions de la Convention d'Aarhus a tenu compte pour constater que l'Union avait méconnu les exigences de l'article 9, paragraphes 3 et 4, de cette Convention. Ce comité a également estimé que la condition tenant à ce que le particulier soit « directement et individuellement » concerné par la mesure en cause, fixée à l'article 263, quatrième alinéa, du TFUE, ne donnait pas effet à l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus puisque les restrictions à l'accès à la justice imposées par cette condition étaient trop importantes pour être conformes à cette Convention(62). Le fait que, à la suite du Traité de Lisbonne, l'article 263, quatrième alinéa, du TFUE prévoit la possibilité pour les particuliers de former un recours contre des actes réglementaires qui les concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d'exécution, n'a pas été considéré comme étant de nature à combler ces lacunes. En effet, cette possibilité concerne exclusivement des actes qui ne laissent aucun pouvoir d'appréciation à leurs destinataires, qui sont, à ce titre, chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation incriminée sans application d'autres règles intermédiaires. Or, le comité a relevé qu'il ne pouvait être exclu que les actes ne relevant pas de cette catégorie – par exemple des actes réglementaires impliquant un tel pouvoir d'appréciation pour leur exécution – relèvent des mesures dont la contestation en justice doit être possible en vertu de l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus(63).

Une telle situation ne saurait être imputée à la Cour. La définition de la notion d'acte administratif dans le règlement n° 1367/2006 ne laissait planer aucun doute quant au fait que le législateur de l'Union avait délibérément écarté la procédure de réexamen s'agissant d'actes de portée générale. Le respect de l'équilibre institutionnel et de la nature juridictionnelle de la mission attribuée à la Cour par les traités faisait obstacle à ce que celle-ci étende par voie prétorienne le champ d'application de cette procédure, sous peine de statuer contra legem. Il en va a fortiori de même s'agissant des conditions posées par le TFUE à la reconnaissance aux particuliers de la qualité pour agir contre un acte de l'Union.

Le comité a relevé d'autres incompatibilités du règlement n° 1367/2006 avec la Convention d'Aarhus, à savoir : premièrement, le fait que le mécanisme de « contrôle Aarhus » devait être accessible non seulement aux organisations non gouvernementales (ONG) (seules visées par la version initiale de ce règlement) mais aussi aux membres du public ; deuxièmement, le fait que devrait être susceptible de recours tout acte administratif « relatif » à l'environnement et pas seulement les actes adoptés « au titre du droit de l'environnement » ; troisièmement, le fait que les actes ne produisant pas d'effet juridiquement contraignant et extérieur devraient également pouvoir faire l'objet d'un contrôle(64).

C'est en vue de remédier à ces difficultés qu'a été adaptée en 2021 la procédure de « réexamen interne » et, par ricochet, qu'ont été étendues les possibilités d'accès au juge de l'Union pour les ONG ou les autres membres du public ayant participé à une telle procédure(65). Cette procédure vise désormais « tout acte non législatif adopté par une institution ou un organe de l'Union, ayant un effet juridique et extérieur et contenant des dispositions qui peuvent aller à l'encontre du droit de l'environnement au sens de l'article 2, paragraphe 1, point f) ». Cette référence à des actes non législatifs vise donc, désormais, tous les actes à caractère individuel ainsi que les actes réglementaires susceptibles de violer les règles adoptées par l'Union en matière de protection de l'environnement(66). De surcroît, d'autres membres du public que les ONG, répondant aux critères énoncés à l'article 11, paragraphe 1bis, du règlement n° 1367/2006, sont désormais habilités à introduire une demande de réexamen interne. Ils doivent à cet effet démontrer soit que l'infraction alléguée au droit de l'environnement de l'Union porte atteinte à leurs droits et que, par rapport au reste du public, ils sont directement affectés par cette atteinte, soit qu'il existe un intérêt public suffisant, que la demande est soutenue par au moins 4 000 membres du public qui résident ou sont établis dans au moins 5 États membres et qu'au moins 250 membres du public proviennent de chacun de ces États membres. Lorsque l'institution ou l'organe de l'Union sollicité ne donne pas suite à une demande de réexamen interne, ou lorsqu'une demande est rejetée, l'article 12, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006 prévoit que l'ONG ou les autres membres du public peuvent saisir la Cour de justice de l'Union européenne conformément aux dispositions pertinentes du TFUE. Plus précisément, en cas de rejet d'une demande de réexamen, l'auteur de la demande a en principe qualité pour agir en annulation contre une telle décision de rejet, dès lors qu'il est destinataire de cette décision. La Commission a récemment précisé les modalités d'introduction d'une demande de réexamen interne ainsi que du traitement d'une telle demande par cette institution(67)

L'extension significative des cas dans lesquels des ONG et autres membres du public peuvent demander le réexamen interne d'un acte administratif individuel ou réglementaire, au titre de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n°1367/2006, devrait mécaniquement accroître le nombre de recours judiciaires intentés contre des décisions de refus de réexamen à l'avenir(68). Ceci devrait amener la Cour à préciser encore l'étendue du contrôle juridictionnel qu'elle peut exercer dans ce contexte procédural très particulier, puisqu'il ne porte pas, comme tel, sur la légalité des actes – désormais également de portée générale et abstraite – visés par une demande de réexamen interne mais sur une décision rejetant celle-ci.

Remarques conclusives

Reflétant les préoccupations d'une partie croissante des opinions publiques quant à la nécessité de mieux protéger l'environnement et, corrélativement, la santé humaine, les pouvoirs constituants et législatifs en Europe ont graduellement adapté le droit aux défis environnementaux et climatiques. L'Union n'échappe pas à cette tendance. Elle forme incontestablement un niveau de gouvernance essentiel pour relever ces défis sur notre continent. Sur bon nombre de sujets, tels que la pureté des eaux fluviales, la qualité de l'air ou encore la préservation de la biodiversité, des normes fixées à l'échelle géographique de l'Union peuvent s'avérer nettement plus efficaces que la juxtaposition des actions des États membres. En effet, lorsqu'elles existent, de telles actions des États membres peuvent manquer de cohérence ou tenir compte de réalités locales sans intégrer une vision plus globale de leur impact sur l'environnement hors de leurs frontières respectives. Ce contexte, couplé aux incidences des mesures environnementales sur le marché intérieur, explique l'investissement « massif » de l'Union dans le domaine du droit de l'environnement. L'accès au juge revêt alors une dimension cruciale pour garantir l'effectivité des mesures adoptées par l'Union dans ce domaine et, par extension, atteindre l'objectif d'un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement que les traités lui assignent. Les engagements internationaux pris par l'Union à ce titre renforcent le rôle des juridictions de l'Union comme garantes d'un accès effectif à la justice en cas de violations alléguées des normes environnementales de l'Union, singulièrement pour les associations de défense de l'environnement. La jurisprudence examinée dans la présente contribution montre que la Cour prend ces engagements très au sérieux. Son rôle dans ce domaine s'inscrit néanmoins dans le cadre constitutionnel fixé par les traités(69). Celui-ci inclut certes des éléments tels que le principe d'effectivité du droit de l'Union ou encore l'article 47 de la Charte garantissant le droit à un recours effectif, que la Cour n'hésite pas à mobiliser pour guider ses interprétations de la Convention d'Aarhus et de la réglementation de l'Union en matière environnementale. En relèvent toutefois aussi le principe d'attribution des compétences(70) et celui de l'équilibre institutionnel. Ces derniers posent des balises à l'office du juge de l'Union comme promoteur de l'accès à la justice environnementale, par exemple en ce qui concerne le respect des choix du législateur de l'Union quant à l'existence d'un droit à réparation pour les victimes de violations de normes environnementales de l'Union ou quant au champ d'application de la procédure de réexamen interne des mesures environnementales adoptées par l'Union. C'est dans le respect de ces balises que la Cour doit continuer à œuvrer, en étroite coopération avec les juridictions nationales, à un accès effectif au juge pour veiller à ce que les acteurs publics et privés se conforment aux exigences posées par nos systèmes juridiques en matière environnementale.

(1): Président de la Cour de justice de l'Union européenne. Les opinions exprimées reflètent exclusivement le point de vue de l'auteur. Le présent article constitue une version remaniée du texte préparatoire à l'intervention de l'auteur lors de la conférence internationale « Justice, Générations futures et Environnement », co-organisée par le Conseil constitutionnel et l'Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la Justice (IERDJ).

(2): Les micro-humains (Troisième humanité : Tome 2), Albin Michel, 2013.

(3): Voy. not. préambule du TUE et art. 3, par. 3 et 5, TUE, ainsi qu'art. 11 TFUE.

(4): Pour un aperçu plus général des instruments de private enforcement dans le domaine du droit de l'environnement de l'Union, voy. K. Lenaerts et J. A. Gutiérrez-Fons, « The General System of EU Environmental Law Enforcement », Yearbook of European Law, 2011/1, p. 3 à 41 ; P. Wennerås, The Enforcement of EC Environmental Law, Oxford University Press, 2007, ainsi que K. Lenaerts et J.-M. Binon, « Les mécanismes et outils procéduraux permettant d'assurer l'effectivité des normes environnementales de l'Union. Apports récents de la jurisprudence européenne » (à paraître).

(5): Art. 191 et 192 TFUE. Parmi les exemples les plus emblématiques à cet égard figurent la directive « habitats », qui a mis en place le réseau « Natura 2000 » (directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, J.O. 2002, L 206, p. 7) ou encore la directive (EU) 2016/2284 du Parlement européen et du Conseil, du 14 décembre 2016, concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques modifiant la directive 2003/35/CE et abrogeant la directive 2001/81/CE (J.O. 2016, L 344, p. 1). Voy. aussi, récemment, le rrèglement (UE) 2024/1991 du Parlement européen et du Conseil, du 24 juin 2024, relatif à la restauration de la nature et modifiant le règlement (UE) 2022/869 (J.O., L 2024/1991).

(6): Voy. les dispositions citées à la note en bas de page 2.

(7): Ainsi, selon les dernières statistiques judiciaires disponibles, entre 2019 et 2023, la Cour a reçu en moyenne près de 40 nouvelles affaires par an relevant de la matière « Environnement », sur un total compris entre 737 et 966 nouvelles affaires introduites au cours de chacune de ces années (rapport annuel 2023, Statistiques judiciaires de la Cour de justice, p. 7).

(8): Voy., pour une illustration largement relayée par les médias, arrêt du 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a. (C‑528/16, EU : C : 2018 : 583), dans lequel la Cour a entre autres mobilisé le principe de précaution en vue d'interpréter largement le champ d'application ratione materiae de la législation de l'Union en matière d'OGM.

(9): Voy., par ex., arrêt du 12 novembre 2019, Commission/Irlande (Parc éolien de Derrybrien) (C‑261/18, EU : C : 2019 : 955).

(10): Dans la procédure ayant abouti à l'arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17 (EU : C : 2018 : 255), qui concernait des atteintes à l'intégrité d'une forêt en Pologne protégée en tant que site « Natura 2000 », la Cour a innové en jugeant que l'article 279 TFUE l'habilite à assortir les mesures provisoires décidées dans le cadre d'une procédure de référé de la fixation d'une astreinte en vue d'assurer l'effectivité de ces mesures [voy. ordonnance du 20 novembre 2017, Commission / Pologne (C‑441/17 R, EU : C : 2017 : 877), en particulier point 118].

(11): Cette Convention a été approuvée au nom de l'Union européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (J.O. 2005, L 124, p. 1).

(12): Art. 9 de la Convention d'Aarhus.

(13): Arrêt du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie (C‑240/09, EU : C : 2011 : 125).

(14): L'application des dispositions de la Convention d'Aarhus aux institutions et organes de l'Union est, quant à elle, régie par le règlement (CE) n° 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l'application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement (J.O. 2006, L 264, p. 13). Ce règlement est examiné dans la partie II.

(15): Ibid., point 50.

(16): Arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, (C‑243/15, EU : C : 2016 : 838).

(17): Cette disposition définit le « public concerné » comme étant « le public qui est touché ou qui risque d'être touché par les décisions prises en matière d'environnement ou qui a un intérêt à faire valoir à l'égard du processus décisionnel », étant précisé que « les organisations non gouvernementales qui œuvrent en faveur de la protection de l'environnement et qui remplissent les conditions pouvant être requises en droit interne sont réputées avoir un intérêt ».

(18): Art. 6, par. 3, de cette directive.

(19): Arrêt Lesoochranárske zoskupenie VLK, op. cit., points 58 à 61.

(20): Arrêts du 15 octobre 2009, Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening, C‑263/08, EU : C : 2009 : 631, points 38 et 39, ainsi que du 14 janvier 2021, Stichting Varkens in Nood e.a., C‑826/18, EU : C : 2021 : 7, points 55 à 59.

(21): Cour EDH, Lambert e.a. c. France, 5 juin 2015, ECLI : CE : ECHR : 2015 : 0605JUD004604314, § 89.

(22): Greenpeace s'est ainsi vu refuser ce statut à plusieurs reprises. Voy. not. décision de la Cour EDH, Asselbourg e.a. c. Luxembourg, 29 juin 1999,  ECLI : CE : ECHR : 1999 : 0629DEC002912195. Voy. 'Guide to the case-law of the European Court of Human Rights – Environment', p. 78 et 79, disponible à l'adresse suivante : https://ks.echr.coe.int/

(23): Art. 9, par. 4, première phrase.

(24): Arrêt du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe (C‑752/18, EU : C : 2019 : 1114).

(25): Directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe (J.O. 2008, L 152, p. 1).

(26): Arrêt Deutsche Umwelthilfe, op. cit., point 40.

(27): Ibid., point 54.

(28): Arrêt du 8 novembre 2022, Deutsche Umwelthilfe (Réception des véhicules à moteur) (C‑873/19, EU : C : 2022 : 857).

(29): Ibid., point 50.

(30): Ibid., point 62.

(31): Ibid., points 63 et 64.

(32): Ibid., point 79.

(33): Ibid., point 80.

(34): Arrêt du 22 décembre 2022, Ministre de la Transition écologique et Premier ministre (Responsabilité de l'État pour la pollution de l'air) (C‑61/21, EU : C : 2022 : 1015).

(35): Voy., par ex., la Constitution de la République portugaise [1976] [Art. 66(1)], la Constitution de la République de Finlande [1999] (section 20), ou encore la Constitution de la République de Slovaquie [1992] (Art. 44).

(36): Art. 52, par. 5, de la Charte.

(37): Ceci est bien sûr sans préjudice de la possibilité d'introduire une initiative citoyenne européenne, sur le fondement de l'article 11, paragraphe 4, TUE et du règlement (UE) nº 211/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, relatif à l'initiative citoyenne (J.O. 2011, L 65, p. 1, et rectificatif J.O. 2012, L 94, p. 49).

(38): Arrêt Ministre de la Transition écologique et Premier ministre (Responsabilité de l'État pour la pollution de l'air), op. cit., point 55.

(39): Ibid., point 56.

(40): La Cour infère ce principe de l'article 13, paragraphe 2, TUE. Voy. par ex. l'arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission (C‑409/13, EU : C : 2015 : 217), point 64 et jurisprudence citée.

(41): Arrêt du 25 juillet 2008, Janecek (C‑237/07, EU : C : 2008 : 447), point 39.

(42): Arrêt du 19 novembre 2014, ClientEarth (C‑404/13, EU : C : 2014 : 2382), point 56.

(43): Aff. C‑100/21 (EU : C : 2023 : 229).

(44): Directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007, établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules (directive-cadre) (J.O. 2007, L 263, p. 1).

(45): Il s'agissait de l'article 823, paragraphe 2, du Bürgerliches Gesetzbuch (BGB).

(46): Arrêt Mercedes-Benz Group (Responsabilité des constructeurs de véhicules munis de dispositifs d'invalidation), op. cit., point 71.

(47): Ibid., point 85.

(48): Ibid., point 92.

(49): Ibid., point 93. Par exemple, la valeur de revente d'un tel véhicule peut être négativement affectée par la circonstance que le véhicule est équipé d'un tel dispositif.

(50): Op. cit., note 13.

(51): Règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (J.O. 2001, L 145, p. 43). L'article 6 du règlement n° 1367/2006 prévoit notamment qu'il existe, sauf dans le cas des enquêtes, un « intérêt public supérieur à la divulgation », au sens du règlement « transparence », lorsque les informations demandées ont trait à des émissions dans l'environnement.

(52): Arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU : C : 1963 : 17 (Rec. p. 223), du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil (C‑309/89, EU : C : 1994 : 197), point 20, et du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, EU : C : 2002 : 462), point 50.

(53): Voy., en ce sens, arrêt Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, ibid., point 50.

(54): Aff. ACCC/C/2008/32. Ces conclusions sont disponibles à l'adresse suivante : https://unece.org/fileadmin/DAM/env/pp/compliance/CC-57/ece.mp.pp.c.1.2017.7.f.pdf

(55): Arrêt du 13 janvier 2015, Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht (C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU : C : 2015 : 4).

(56): Nous soulignons « réexamen interne ».

(57): L'art. 2, par. 1, sous g), du règlement n° 1367/2006, dans sa version en vigueur à l'époque, définissait l'acte administratif comme « toute mesure de portée individuelle au titre du droit de l'environnement arrêtée par une institution ou un organe communautaire et ayant un effet juridiquement contraignant et extérieur ».

(58): Conformément à l'article 10 du règlement n° 1367/2006, la Commission traitait en revanche sur le fond des demandes de réexamen interne de décisions individuelles qui lui étaient adressées par des associations de défense de l'environnement. Voy. par ex. la décision de la Commission C(2016) 8454, du 7 décembre 2016, relative à des autorisations d'utilisations de produits chimiques accordées sur demandes et ayant donné lieu, notamment, à l'arrêt du 6 octobre 2021, ClientEarth/Commission (C‑458/19 P, EU : C : 2021 : 802).

(59): Arrêt du 14 juin 2012, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 (EU : T : 2012 : 301), point 65.

(60): Arrêt du 13 janvier 2015, Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht (C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU : C : 2015 : 4), points 52 à 54.

(61): Ordonnance du 8 avril 2021, CRII-GEN e.a./Commission (T‑496/20, non publiée, EU : T : 2021 : 179), points 41 à 43. Voy. égal. arrêt du 15 décembre 2021, Stichting Comité N 65 Ondergronds Helvoirt/Commission (T‑569/20, EU : T : 2021 : 892).

(62): Conclusions citées à la note en bas de page 53, point 64.

(63): Ibid., points 75 à 78.

(64): Voy. la proposition de la Commission européenne concernant la décision du Conseil relative à la position à prendre, au nom de l'Union européenne, lors de la sixième session de la réunion des parties à la Convention d'Aarhus sur une affaire ayant trait au respect des dispositions (ACCC/C/2008/32), COM(2017) 366 final, p. 4.

(65): Règlement (UE) 2021/1767 du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 2021, modifiant le règlement (CE) n° 1367/2006 concernant l'application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement (J.O. 2021, L 356, p. 1).

(66): Il est à noter que l'article 9, paragraphe 3, de la Convention d'Aarhus, en visant la contestation des « actes ou omissions de particuliers ou d'autorités publiques allant à l'encontre des dispositions du droit national de l'environnement », n'enjoint pas les parties à cette Convention d'instituer une forme d'actio popularis contre des actes législatifs.

(67): Décision (UE) 2023/748 de la Commission du 11 avril 2023 établissant les modalités d'application du règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les demandes de réexamen interne d'actes ou d'omissions administratifs (J.O. 2023, L 99, p. 23).

(68): Voy., en ce sens, E. Brosset, « Enfin ! Le Règlement Aarhus est révisé : un nouveau pas dans l'accès à la justice en matière environnementale ? », Rev. dr. et lib. fond., 2022/5, disponible en ligne sur le site : www.revuedlf.com/

(69): Sur cette notion, voy. avis 2/13 (Adhésion de l'Union à la CEDH) du 18 décembre 2014 (EU : C : 2014 : 2454), points 158 et 177, ainsi que avis 1/17 (Accord ECG UE-Canada) du 30 avril 2019 (EU : C : 2019 : 341), point 110.

(70): Art. 5, par. 1 et 2, TUE.

Citer cet article

Koen LENAERTS. « Le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne dans la consolidation du droit d'accès à la justice environnementale », Titre VII [en ligne], n° 13, L'environnement, novembre 2024. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/le-role-de-la-cour-de-justice-de-l-union-europeenne-dans-la-consolidation-du-droit-d-acces-a-la