Titre VII
N° 13 - novembre 2024
Le droit à un environnement sain, propre et durable saisi par le droit international
Largement développé sur le plan interne, le droit à un environnement sain, propre et durable a été reconnu sur le plan universel par une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies en 2022. Cette affirmation est le résultat d'interactions normatives entre droit interne et droit international, mais aussi entre le droit international des droits de l'homme et le droit international de l'environnement. Cette contribution vise à mettre en lumière le processus de reconnaissance de ce nouveau droit de l'homme en droit international.
Le droit à un environnement sain a connu pendant une cinquantaine d'années un développement à plusieurs vitesses sur le plan international, fait d'avancées et de reculs, jusqu'à sa reconnaissance universelle par l'Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) en 2022(1). Ce momentum est indubitablement le résultat d'un long processus de maturation d'un nouveau droit de l'homme(2), mais également l'une des réponses à la problématique écologique à laquelle les êtres humains sont confrontés. En effet, à l'heure de l'urgence climatique(3), des changements environnementaux globaux et du dépassement des limites planétaires(4), ainsi que de l'échec d'une globalisation sans limites qui n'est plus à prouver, il est plus que nécessaire d'œuvrer pour un « monde humainement habitable »(5).
Ainsi, le droit à un environnement sain a été universellement reconnu grâce à un double mouvement, axiologique et pragmatique. D'une part, il traduit la reconnaissance d'une valeur qui place la protection de l'environnement sur le même pied d'égalité que d'autres intérêts humains importants et la rend nécessaire au respect de la dignité humaine. D'autre part, il peut être considéré comme un outil juridique qui permet de renforcer la protection de l'être humain et de l'environnement à travers un décloisonnement des régimes juridiques. Les critiques relatives au caractère trop anthropocentrique de la sauvegarde de l'environnement par la voie des droits de l'homme semblent dorénavant obsolètes, compte tenu du fait que ces derniers peuvent être des leviers pour une meilleure protection de l'environnement, à travers des droits à l'information et à la protection juridictionnelle. En effet, un tel phénomène d'interdépendance entre la sauvegarde de l'environnement et la réalisation des droits de l'homme remet en question l'opposition théorique entre anthropocentrisme et écocentrisme, puisque protéger l'environnement signifie protéger la vie humaine et l'humanité, en même temps que la continuité de la vie humaine sur Terre dépend de la préservation de l'environnement.
Cette contribution vise à mettre en lumière le processus de développement de ce droit de l'homme sur le plan international. En effet, la reconnaissance universelle du droit à un environnement sain (B) est le résultat d'un long processus normatif alliant droits internes et droit international et particulièrement à l'œuvre dans le cadre de la prise en compte des enjeux environnementaux par les organes internationaux de protection des droits de l'homme (A).
A) Le droit à un environnement sain, propre et durable, un laboratoire de l'internationalisation du droit
Le droit à un environnement sain, propre et durable s'inscrit parfaitement dans un processus d'internationalisation du droit, comme l'entend Mireille Delmas-Marty. Ce phénomène « n'est pas synonyme de droit international ; c'est une dynamique, un ensemble de mouvements stimulés par le jeu d'interactions entre les droits internationaux (au pluriel puisqu'ils sont fragmentés) et les droits internes »(6). Le droit à un environnement sain, propre et durable se développe au niveau international et national depuis une cinquantaine d'années (1), dans le contexte d'un processus largement catalysé par les décisions rendues par les différents organes de contrôle des droits de l'homme (2).
1. L'affirmation progressive d'un nouveau droit de l'homme en droit international
C'est notamment depuis l'adoption de la Déclaration de Stockholm en 1972(7), où l'on lit que « l'homme a un droit fondamental à la liberté, à l'égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permettra de vivre dans la dignité et le bien-être [...] », qu'on en est venu à envisager qu'un environnement sain pouvait être considéré comme un droit humain(8). Dans cette affirmation, il n'y a pas de reconnaissance du droit à un environnement sain, même si on en attribue l'émergence à ce texte adopté lors d'une conférence internationale environnementale. Inspirés par le mouvement déclenché par cette Déclaration, divers États ont réagi et ont incorporé le droit à un environnement sain dans leurs constitutions. Dans des droits internes en Amérique latine, en Europe de l'Est, puis en Afrique et en Europe occidentale(9), on a alors assisté à l'affirmation de ce droit. Le premier pays à le reconnaître a été le Portugal en 1976. Depuis, plus d'une centaine d'États l'ont intégré dans leurs constitutions et, on considère que, par le biais des législations et des ratifications des traités, environ 155 des 193 États membres des Nations Unies l'ont reconnu(10).
La Déclaration de Stockholm a aussi été le catalyseur pour que la question environnementale intègre dès les années quatre-vingt les systèmes régionaux africain et interaméricain de protection des droits de l'homme. Le droit à un environnement sain a d'abord été reconnu dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981(11). Ce texte en fait un droit dont le titulaire est à la fois l'individu et le peuple. Ensuite, c'est le Protocole à la Convention américaine des droits de l'homme, adopté en 1988, qui l'a consacré parmi les droits économiques, sociaux et culturels(12). Outre les textes africain et interaméricain, plus tard, la Charte arabe des droits de l'homme l'a affirmé en 2004(13), ainsi que la Déclaration des droits de l'homme de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) en 2012(14).
Dans l'espace onusien de protection des droits de l'homme, c'est en 1994 qu'un important rapport rédigé par la rapporteuse spéciale Fatma Zhora Ksentini, dans le cadre de la sous-commission de lutte contre les mesures discriminatoires et de protection des minorités de l'ancienne Commission des droits de l'homme, a proposé l'adoption d'un instrument international reconnaissant le droit à un environnement sain(15). Ce rapport s'inscrivait aussi dans la dynamique enclenchée par la Déclaration de Rio de 1992 qui prend en compte les liens entre l'Homme et l'environnement à travers son premier principe qui dispose que « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ». Aucune suite n'a néanmoins été donnée à la proposition de la rapporteuse Ksentini. Ce n'est qu'après l'établissement du Conseil des droits de l'homme (CDHNU) en 2006 que la question environnementale est entrée effectivement dans l'agenda de l'organe onusien, grâce à la Déclaration de Malé adoptée par les petits États insulaires portant sur les changements climatiques. Après plusieurs rapports sur cette problématique(16), le Conseil a mis en place en 2012 une procédure spéciale sur « les obligations des droits de l'homme relatives aux moyens de bénéficier d'un environnement sûr, sain, propre et durable »(17), incitant à ce que les autres branches du droit international, et notamment la branche environnementale(18), fondent leurs normes et actions sur une approche fondée sur les droits de l'homme. Les différents travaux du rapporteur spécial l'ont conduit à encourager les États, lors de la présentation des principes-cadres relatifs aux droits de l'homme et à l'environnement à l'AGNU en 2018, à reconnaître le droit à un environnement sain sur le plan universel(19). Les actions entreprises par cette procédure spéciale ont indiscutablement favorisé une large maturation de ce droit. Le résultat en est l'acceptation d'un texte commun par les États membres du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (CDHNU) en 2021, puis l'adoption de la résolution de 2022 par l'AGNU, ce qui a eu pour effet le changement de l'intitulé de cette procédure : dorénavant, il s'agit d'un Rapporteur spécial sur le droit de l'homme à un environnement propre, sain et durable(20).
Par ailleurs, dans un mouvement parallèle, et si les instruments environnementaux ne prennent pas prioritairement en compte les droits de l'homme, une « approche fondée sur les droits de l'homme » se développe, comme on peut le voir dans le préambule de l'Accord de Paris sur les changements climatiques de 2015. Ce phénomène met en évidence la perspective d'interdépendance entre la sauvegarde de l'environnement et la réalisation des droits de l'homme, comme en attestent les décisions rendues par différents organes internationaux de contrôle des droits de l'homme.
2. L'écologisation de la jurisprudence internationale en matière de droits de l'homme
À l'intersection entre le droit international des droits de l'homme et du droit international de l'environnement, le droit à un environnement sain catalyse des interactions entre différents ordres et régimes juridiques. Dans cette perspective, les organes de contrôle des droits de l'homme participent à établir le contenu de ce « nouveau droit », à partir d'une interprétation évolutive des traités qui les ont fondés, protégeant notamment le droit à un environnement sain par ricochet d'autres droits qui y sont consacrés.
La jurisprudence la plus importante et la plus ancienne en la matière est celle de la Cour européenne des droits de l'homme (Cour EDH). Bien que la Cour européenne ait dit à maintes reprises qu'aucun article de la Convention européenne des droits de l'homme ne garantit spécifiquement une protection générale de l'environnement en tant que tel(21), elle a su connaître de différentes questions environnementales touchant des droits individuels protégés par la Convention, notamment par le biais du droit à la vie privée et familiale(22). Si la Cour a déjà pu tirer de l'article 8 de la Convention un « droit des intéressés (...) à la jouissance d'un environnement sain et protégé »(23), elle le fait en tenant compte de la distinction entre les droits protégés par son texte fondateur et l'appréciation des buts légitimes dans le cadre de la mise en balance entre droits. Ainsi, lors de l'appréciation du droit de propriété de l'article 1er du Protocole n° 1, la Cour a indiqué que la société d'aujourd'hui se soucie sans cesse davantage de préserver l'environnement et que des impératifs économiques et même certains droits fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à la protection de l'environnement(24).
C'est dans ce contexte très favorable à l'appréhension de l'environnement par ricochet d'autres droits reconnus par la Convention européenne, que la Cour a récemment fait entrer la question climatique au sein de sa jurisprudence. L'arrêt concernant l'affaire des Aînées pour le climat Suisse pose un jalon supplémentaire dans l'action environnementale et climatique de la juridiction de Strasbourg. Constatant que les changements climatiques sont devenus une question internationale de droits de l'homme, la Cour a estimé que la politique climatique de la Suisse ne répondait pas au niveau de protection requis par la Convention européenne. Donnant ainsi raison aux requérants, la Grande Chambre de la Cour a estimé que la Suisse avait violé ses obligations positives en ne prenant pas de mesures suffisantes pour atténuer les effets néfastes du changement climatique sur les droits de l'homme. Interprétant la Convention, la Cour a estimé que l'article 8 inclut un droit à une protection effective par les autorités publiques contre les conséquences négatives graves des changements climatiques sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie(25).
La Cour interaméricaine des droits de l'homme (Cour IADH), quant à elle, fait depuis des années un effort d'interprétation similaire à celui de la Cour européenne pour évaluer les questions environnementales. Les développements jurisprudentiels de la Cour IADH en la matière sont intimement liés à la protection des droits des peuples autochtones et tribaux. Depuis son arrêt de 2001 dans l'affaire Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni c. Nicaragua, grâce à l'interprétation évolutive de l'article 21 de la Convention américain relative aux droits de l'homme (CADH), la Cour IADH a adopté une vision qui a été maintenue dans sa jurisprudence ultérieure, selon laquelle la protection des peuples autochtones et tribaux ne peut être séparée de la protection de leur territoire. La protection de celui-ci implique la sauvegarde de l'environnement, non seulement parce que la subsistance matérielle des communautés en dépend, mais aussi parce que, comme l'a souligné la Cour en 2001, « pour les communautés autochtones, le rapport à la terre n'est pas seulement une question de possession et de production, mais un élément matériel et spirituel dont elles doivent jouir pleinement, y compris pour préserver leur héritage culturel et le transmettre aux générations futures »(26).
Mais c'est surtout lors de l'Avis consultatif que la Cour IADH a rendu en 2017 sur l'environnement et les droits de l'homme qu'elle a eu l'occasion de développer et de préciser la portée de leurs interactions ainsi que de consolider les obligations des États en la matière(27). Outre le fait de rendre justiciable le droit à un environnement sain, elle a établi qu'il s'agit d'un droit à la fois individuel et collectif dont l'objet comprend les « bois, les rivières, les mers et autres » éléments naturels en tant qu'intérêts juridiques en eux-mêmes, indépendamment des impacts négatifs sur l'être humain(28). Dans cet avis, la Cour a énoncé les obligations découlant des droits à la vie et à l'intégrité personnelle en rapport avec les dommages à l'environnement, telles que la prévention, la précaution, la coopération. Les innovations de cet avis consultatif ont des effets directs sur la jurisprudence contentieuse et particulièrement en ce qui concerne la justiciabilité du droit à un environnement sain. En effet, dans l'affaireLhaka Honhat c. Argentine de 2020, la Cour IADH a déclaré, pour la première fois, la responsabilité internationale d'un État pour la violation du droit à un environnement sain sur la base de l'article 26 de la CADH. Compte tenu de l'interdépendance entre les droits à un environnement sain, à une alimentation adéquate, à l'eau et à l'identité culturelle des peuples autochtones, la Cour a retenu la violation de l'ensemble de ces droits sous l'angle du droit à un environnement sain(29). Ces développements se poursuivent, et notamment dans l'arrêt récent rendu par la juridiction de San José dans l'affaire La Oroya c. Pérou(30), où le droit à un air propre a été reconnu comme composant du droit à un environnement sain.
Dans le droit fil de l'« écologisation » de la jurisprudence internationale en matière de droits de l'homme, et bien que tardivement par rapport aux organes régionaux des droits de l'homme, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a rendu des constatations sur la question environnementale sous l'angle du droit à la vie privée et familiale et du droit des minorités à ne pas être privées de leur culture, dans des affaires où des pesticides mettent en danger les communautés agricoles et les peuples autochtones(31) et dans la première affaire climatique qui opposait des habitants du Détroit de Torrès à l'Australie(32). Et même si le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies n'a pas statué sur le fond de la communication climatique présentée par un groupe d'enfants dont la jeune activiste Greta Thunberg, car elle ne remplissait pas les conditions de recevabilité en raison du non-épuisement des voies de recours internes, il a confirmé les effets dramatiques de la crise climatique sur le plein exercice des droits de l'homme(33).
Ces grandes lignes de l'évolution jurisprudentielle du droit à un environnement sain en droit international montrent qu'il se forge dans un contexte de perméabilité et de complémentarité, d'une mondialisation à géométrie variable et à des vitesses différentes et qui est le résultat d'interactions multiples (horizontales/verticales, ascendantes/descendantes, spontanées/hégémoniques/pluralistes)(34). Ce mouvement a indéniablement contribué à la reconnaissance universelle de ce droit de l'homme.
B) Le droit à un environnement sain, propre et durable, les effets d'une reconnaissance universelle
Toute cette évolution normative et jurisprudentielle a abouti le 8 octobre 2021 à l'affirmation du droit à un environnement propre, sain et durable par la résolution 48/13 adoptée lors de la 48ème session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, suivie par l'adoption de la résolution de l'AGNU de 2022. Il s'agit d'un moment décisif pour tous les acteurs impliqués dans la protection des droits de l'homme et de l'environnement, puisque pour la première fois, un instrument des Nations Unies consacre ce droit de l'homme, l'intégrant à la « famille » des droits universellement reconnus. Bien que le texte de la résolution contienne des dispositions imprécises (1), il contribue sans aucun doute à renforcer la protection de l'environnement et des droits de l'homme sur le plan universel (2).
1. Le contenu évolutif d'un texte imprécis
La résolution onusienne de 2022 ne donne pas de réponse claire à ce que contient l'environnement propre, sain et durable. Même s'il est vrai que la qualification de l'environnement vise à donner plus de précision et de sécurité juridique aux titulaires de droits et d'obligations, la pratique a montré que le contenu de ce droit peut être variable et ajustable, en fonction du contexte auquel il s'applique. Il est fréquent que les interprètes des droits de l'homme aillent au-delà d'une approche éminemment positiviste, qui présuppose que les obligations qui en découlent sont mises en œuvre dans la mesure de l'adjectif qui les accompagne. Même une formulation plus étroite peut donner lieu à une interprétation large, tandis qu'une formulation apparemment plus large peut aboutir à une portée limitée. Si l'on se réfère à l'exemple de l'interprétation donnée à l'article 11 du Protocole de San Salvador par la Cour interaméricaine et à celle de l'article 24 de la Charte africaine donnée par la Commission africaine, on peut constater cette flexibilité qui existe entre la formulation du droit et le sens de son contenu. En interprétant le droit à un environnement sain, la Cour interaméricaine a reconnu qu'il devait être compris dans un sens large, car il va au-delà des conséquences possibles pour les êtres humains pour inclure les éléments de la nature(35). La Commission africaine, dont l'énoncé a priori était plus complet, a limité sa portée en liant le droit à l'environnement au droit à la santé(36). Par conséquent, le contenu du droit à un environnement propre, sain et durable devra être précisé par les interprètes dans le cadre de son application, qu'il s'agisse d'agents politiques, de législateurs, de juges ou d'acteurs sociaux, qui peuvent adopter une interprétation plus large du droit en fonction des situations en présence. Ainsi, l'énoncé « droit à un environnement propre, sain et durable » désigne un socle qui peut englober un objet de droit diversifié et évolutif, modulable en fonction du contexte.
Outre l'objet du droit, le texte de la résolution ne dit rien sur son titulaire. Le texte est vague dans son approche dans la mesure où il affirme que « l'exercice du droit à un environnement propre, sain et durable est un élément important pour la jouissance des droits de l'homme ». On sait déjà qu'il s'agit potentiellement d'un droit à dimension individuelle et collective, tel que consacré par la Charte africaine ou identifié par la Cour interaméricaine(37). Cette perspective est encore loin d'être stabilisée et il est regrettable que les rédacteurs de la résolution aient manqué l'occasion de clarifier la question du titulaire de ce droit. Il s'agissait peut-être d'une stratégie diplomatique, car en évitant d'indiquer les titulaires, ils ne se sont pas prononcés sur la nature subjective de ce droit de l'homme.
Malgré ces imprécisions et indéterminations, la résolution de l'AGNU a le mérite de défragmenter les régimes juridiques de protection des droits de l'homme et de l'environnement en opérationnalisant l'intégration entre les régimes juridiques. En incluant dans le préambule des références aux Déclarations de Stockholm et de Rio, ainsi qu'aux accords multilatéraux portant sur l'environnement, l'AGNU envoie un signal important sur la nécessité de protéger l'environnement dans le cadre des obligations en matière de droits de l'homme. En outre, la résolution établit que la coopération devrait être le principe directeur dans ce domaine, non seulement entre les États, mais aussi avec différents acteurs, tels que les organes des Nations Unies, les secrétariats des conventions internationales sur l'environnement, les programmes internationaux, la société civile, les entreprises et les institutions nationales de protection des droits de l'homme. Il s'agit d'une ouverture bienvenue vers une gouvernance plus efficace pour protéger le droit à un environnement propre, sain et durable, en droit international.
2. Les apports d'un texte à portée universelle
La reconnaissance dans un texte universel du droit à un environnement sain, propre et durable est la conséquence de sa valeur indéniable pour la réalisation de la dignité humaine qui peut induire des transformations positives pour la protection de l'environnement et des êtres humains. Les plus sceptiques pourraient remettre en question la portée souple de la résolution de l'AGNU et sa capacité à produire des effets importants pour la réalisation de ce droit. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer les changements significatifs que cet instrument peut apporter. Outre les conséquences extra-juridiques, il est possible d'identifier au moins deux effets principaux de cette résolution, un normatif et un autre interprétatif.
Les instruments de soft law constituent une forme d'étape normative, destinée à accompagner la formation d'un consensus international. En jouant un rôle normatif et programmatique, la résolution de l'AGNU comblerait l'absence d'une déclaration voire d'une convention sur le droit à un environnement sain, propre et durable, en établissant déjà un cadre réglementaire dans ce domaine. Outre l'influence que la résolution aurait sur la formation de la coutume internationale, elle pourrait servir de catalyseur pour la reconnaissance formelle du droit à un environnement sain dans les États qui ne l'ont pas encore consacré. Comme le montre l'expérience, la résolution adoptée par l'AGNU sur le droit à l'eau et à l'assainissement a eu un impact positif sur plusieurs législations nationales(38). En outre, cette résolution peut également donner plus de légitimité au processus de reconnaissance du droit à un environnement sain par le Conseil de l'Europe. En effet, après une tentative échouée d'adopter un protocole à la Convention européenne en 2009(39), le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe devra à nouveau se prononcer sur un projet de protocole additionnel portant sur le droit à un environnement sain proposé par l'Assemblée parlementaire en septembre 2021(40). Après la résolution onusienne de juillet 2022, le Comité des Ministres a adopté une recommandation sur les droits de l'homme et la protection de l'environnement(41). Lors du Sommet de Reykjavík du Conseil de l'Europe qui s'est tenu les 16 et 17 mai 2023, les États membres se sont engagés à renforcer leurs actions sur les aspects de l'environnement liés aux droits de l'homme, sur la base de la reconnaissance politique du droit à un environnement propre, sain et durable en tant que droit de l'homme, ainsi que travailler sur la nature, le contenu et les implications du droit à un environnement sain pour en envisager la reconnaissance(42). Plus généralement, la résolution onusienne renforcerait l'approche fondée sur les droits de l'homme dans les législations environnementales, contribuant à défragmenter les régimes juridiques et à promouvoir la protection des êtres humains et de l'environnement.
Cette résolution a également des effets interprétatifs, car même si elle ne crée pas directement des droits et des obligations au profit ou aux dépens de ses destinataires, elle peut contribuer à donner un sens à d'autres obligations en matière de droits de l'homme. Les juges, mais aussi les décideurs, pourront s'appuyer sur la résolution en question pour interpréter les obligations en la matière. En ce sens, cet instrument peut contribuer à l'élaboration de paramètres permettant de mieux définir les obligations préventives des États, mais aussi d'autres acteurs. Cette perspective préventive, caractéristique du droit à un environnement propre, sain et durable est susceptible de favoriser des progrès dans divers aspects de la protection des droits de l'homme face aux problématiques environnementales, en permettant de mieux saisir les questions de la preuve, de la causalité et de l'attribution de la responsabilité.
La résolution adoptée par l'AGNU en 2022 vient nécessairement contribuer à en définir les contours et à faire évoluer le droit à un environnement propre, sain et durable, comme en atteste par ailleurs une résolution adoptée par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies en 2023, qui a incité les États à adopter un cadre juridique efficace et des politiques à l'échelle nationale et locale pour garantir ce droit(43). Plus que la portée normative de la résolution, ce sont ces vecteurs vertueux d'intégration de ce droit aux législations et politiques qui seront déterminants pour faire face à une crise écologique sans précédent, et face à laquelle le droit à un environnement propre, sain et durable est l'une des réponses les plus justes.
(1): AGNU, Rés. Droit à un environnement propre, sain et durable, A/RES/76/300, 28 juillet 2022.
(2): C. Perruso, Le droit à un environnement sain en droit international. Thèse de doctorat soutenue à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 15 octobre 2019, 465 p.
(3): V. 6e rapport du GIEC, synthèse, 2023, disponible sur : https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-cycle/
(4): F. Buttel, A. Hawkins, A. Power, « From Limits to Growth to Global Change. Constraints and Contradictions in the Evolution of Environmental Science and Ideology », Global Environmental Change, 1990, p. 57-66 ; A. Boutaud, N. Gondran, Les limites planétaires, Paris, La Découverte, 2020, 111 p.
(5): A. Berque, Écoumène ; Introduction à l'étude des milieux humains, Paris, Belin, 2009.
(6): M. Delmas-Marty et A. Supiot, « L'internationalisation du droit : dégradation ou recomposition ? (Dialogue) », Esprit, 2012, n° 389, p. 35.
(7): L'impact de la dégradation de l'environnement et ses effets sur la condition humaine a été pris en compte pour la première fois au niveau international par une Résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies en 1968 : AGNU, Rés. 2398 (XXIII), Problèmes du milieu humain, 3 déc. 1968, préambule, §§ 3 et 4.
(8): Si on revient au plan universel, quoique de manière plus modeste, la Déclaration de Rio de 1992 prend également en compte les liens entre l'homme et l'environnement à travers son premier principe qui dispose que « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ».
(9): D. Boyd, The Environmental Rights Revolution : A Global Study of Constitutions, Human Rights, and the Environment, Vancouver, University of British Columbia Press, 2011, 468 p.
(10): D. Boyd, « Catalystic for Change, Evaluating Forty Years of Experience in Implementing the Right to a Healthy Environment », in J. Knox, R. Pejan, The Human Right to a Healthy Environment, New York, CUP, 2018, p. 18.
(11): Art. 24 : « Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement ».
(12): Art. 11 : « Toute personne a droit à un environnement salubre ».
(13): Art. 38 : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant, pour elle et sa famille, qui leur assure le bien-être et une vie décente, y compris la nourriture, les vêtements, le logement et les services, et a droit à un environnement sain. Les États parties prennent les mesures requises en fonction de leurs ressources pour assurer ce droit ».
(14): § 28 : « Every person has the right to an adequate standard of living for himself or herself and his or her family including : [...] f. The right to a safe, clean and sustainable environment ».
(15): Conseil économique et social, E/CN.4/Sub2/1 994/9, présenté le 26 juil. 1994.
(16): CDHNU, Rés. 7/23, 28 mars 2008. V. pour le processus d'appréhension des changements climatiques par les instances onusiennes de protection des droits de l'homme, C. Cournil et C. Perruso, « Réflexions sur « l'humanisation » des changements climatiques et la « climatisation » des droits de l'homme. Émergence et pertinence », La Revue des droits de l'homme, n° 14, 2018.
(17): CDHNU, Rés. 19/10, 12 mars 2012.
(18): Il convient aussi de rappeler le processus lancé par le Secrétaire général des Nations Unies en 2018 pour l'adoption d'un Pacte mondial pour l'environnement qui affirmait au sein d'un instrument environnemental le droit à un environnement sain. Rapport du secrétaire général des Nations Unies, A/73/419, Gaps in International Environmental Law and Environmental-Related Instruments : Towards a Global Pact for the Environment, 30 novembre 2018. Ce projet n'a cependant pas abouti.
(19): AGNU, Rapport A/73/188, 19 juil. 2018.
(20): AGNU, Rés. A/HRC/RES/55/2, 3 avril 2024.
(21): Cour EDH, 22 mai 2003, Kyrtatos c. Grèce, n° 41666/98, § 52 ; Cour EDH, 24 juin 2019, Cordella c. Italie, n° 54414/13 et 54264/15, § 100.
(22): Cour EDH, 8 juillet 2003, Hatton et autres c. Royaume Uni, n° 36022/97, § 96. Elle a déjà retenu la violation du droit à la vie dans le contexte de la dégradation environnementale, v. Cour EDH [GC], 30 novembre 2004, Öneryildiz c. Turquie, n° 48939/99.
(23): Cour EDH, 27 janvier 2009, Tatar c. Roumanie, n° 67021/01, § 112.
(24): Cour EDH, 26 janvier 2009, Turgut et autres c. Turquie, n° 1411/03, § 90.
(25): Cour EDH [GC], 9 avril 2024, Verein Klimaseniorinnen Schweiz c. Suisse, req. n° 53600/20, § 519.
(26): Cour IADH, 31 août 2001, Fond, réparations et coûts, Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni c. Nicaragua, § 149, Série C, n° 79.
(27): Cour IADH, 15 novembre 2017, avis consultatif demandé par la Colombie, Environnement et droits de l'homme, OC-23/17, §§ 108-243.
(28): Ibid., § 62.
(29): Cour IADH, 6 février 2020, Comunidades Indígenas Miembros de la Asociación Lhaka Honhat (Nuestra Tierra) c. Argentina, Exceptions préliminaires, fond, réparations et coûts, Série C, n° 400, §§ 114-185.
(30): Cour IADH, 27 novembre 2023, Exceptions préliminaires, Fond, réparations et coûts, Habitantes de la Oroya c. Pérou, Série C, n° 511.
(31): CDH, 12 octobre 2021, Benito Oliveira et al. v. Paraguay (CCPR/C/132/D/2552/2015).
(32): CDH, 22 septembre 2022, Daniel Billy et al. c. Australie, (CCPR/C/135/D/3624/2019) ; v. C. Perruso, « L'insuffisance de l'action climatique à l'origine de violations de droits de l'homme. Notes sur l'affaire Torrès devant le Comité des droits de l'homme des Nations Unies », RJE, n° 3, 2023.
(33): CDIE, 8 octobre 2021, Sacchi et autres c. Argentine et autres, (CRC/C/88/D/106/2019).
(34): M. Delmas-Marty, « Note à propos de l'article les juges dans la mondialisation : la nouvelle révolution du droit », Critique internationale, 2005/3, n° 28, p. 187-189.
(35): Cour IADH, 15 novembre 2017, avis consultatif demandé par la Colombie, Environnement et droits de l'homme, préc., § 62.
(36): Comm. ADHP, 13 au 27 octobre 2001, Social and Economic Rights Action Center (SERAC) and Center for Economic and Social Rights (CESR) c. Nigéria, n° 155/96.
(37): Cour IADH, 15 novembre 2017, avis consultatif demandé par la Colombie, Environnement et droits de l'homme, préc., § 62.
(38): V. bilan réalisé par D. Boyd, 16 juillet 2021, disponible sur : https://hir.harvard.edu/human-rights-and-the-environment-interview-with-un-special-rapporteur-david-r-boyd/
(39): CM/AS, 2010, Rec1883-1885, 16 juin 2010.
(40): V. « Ancrer le droit à un environnement sain : la nécessité d'une action renforcée du Conseil de l'Europe », disponible sur : https://pace.coe.int/fr/files/29409/html
(41): CM/AS, 2022(20), 27 septembre 2022.
(42): Sommet de Reykjavík du Conseil de l'Europe : Unis autour de nos valeurs, Déclaration de Reykjavík, adoptée les 16 et 17 mai 2023, Annexe V.
(43): CDHNU, Rés. 52/L.7, The human right to a clean, healthy and sustainable environment, 23 mars 2023.
Citer cet article
Camila PERRUSO. « Le droit à un environnement sain, propre et durable saisi par le droit international », Titre VII [en ligne], n° 13, L'environnement, novembre 2024. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/le-droit-a-un-environnement-sain-propre-et-durable-saisi-par-le-droit-international
Dans le même dossier
-
Justice et environnement : le rôle des Cours constitutionnelles
-
La contribution récente de la CEDH à la protection de l'environnement et des générations futures
-
Le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne dans la consolidation du droit d'accès à la justice environnementale
-
La vision administrative du droit de l'environnement
-
La vision privatiste du droit de l'environnement
-
Les nouveaux objets en matière environnementale
-
La Charte a 20 ans : un grand potentiel à valoriser
-
De la non-démocratie environnementale : réflexion critique autour du droit de participer de l'article 7 de la Charte de l'environnement
-
Les armes procédurales du juge judiciaire en matière de droit de l'environnement
-
Les justiciables se saisissent-ils du droit de l'environnement ?
-
Conciliation entre principes dans la jurisprudence constitutionnelle relative à la protection de l’environnement
À lire aussi dans Titre VII
N° 13 - novembre 2024
Les chroniques
La vie du Conseil constitutionnel
- Retour sur la 14e édition du Salon du livre juridique
- Déjeuner des lauréats du concours d'agrégation en droit privé et sciences criminelles
- Nuit du Droit 2024 du Conseil constitutionnel
- Cinquième rencontre quadrilatérale des cours constitutionnelles latines
- Hommage à Jean-Claude Colliard
- Conférence des chefs d'institution de l'Association des Cours Constitutionnelles Francophones, sur le thème de « La protection constitutionnelle de la liberté d'expression », du 13 au 15 juin 2024