Titre VII

N° 13 - novembre 2024

De la non-démocratie environnementale : réflexion critique autour du droit de participer de l'article 7 de la Charte de l'environnement

Résumé

Le droit de participer prévu par la Charte de l'environnement contenait une double promesse : celle de renforcer la légitimité des décisions publiques dans le domaine de l'environnement et d'améliorer leur qualité. 20 ans après, on doit hélas constater que ces objectifs n'ont pas été atteints. Si les causes de cet échec sont multifactorielles, l'attitude prudente du constituant lors de l'élaboration de l'article 7 paraît y avoir largement contribué. Tenu par un texte peu exigeant, le Conseil constitutionnel n'a lui-même pas encore interprété l'article 7, de sorte que nos schémas décisionnels évoluent en profondeur.

Le droit de participer prévu par la Charte de l'environnement contenait une double promesse : celle de renforcer la légitimité des décisions publiques dans le domaine de l'environnement et d'améliorer leur qualité. 20 ans après, on doit hélas constater que ces objectifs n'ont pas été atteints. Si les causes de cet échec sont multifactorielles, l'attitude prudente du constituant lors de l'élaboration de l'article 7 paraît y avoir largement contribué. Tenu par un texte peu exigeant, le Conseil constitutionnel n'a lui-même pas encore interprété l'article 7, de sorte que nos schémas décisionnels évoluent en profondeur.

De l'intensification des manifestations contre certains projets d'aménagement(1) à la multiplication des recours juridictionnels(2) en passant par la remise en cause de certaines mesures législatives(3), l'actualité démontre combien les questions environnementales, longtemps sujets de spécialistes et exclusivement réduites à leurs dimensions techniques, sont désormais au cœur de l'agenda et des conflits politiques.

La crise de la légitimité de l'action publique, en particulier dans le domaine de l'environnement, a pourtant été identifiée depuis fort longtemps déjà. Dans une sentence relativement prémonitoire, Cornélius Castoriadis insiste sur le fait « qu'écologie et radicalisation de la démocratie sont, dans les conditions contemporaines, indissociables »(4). À l'instar d'Hans Jonas(5), le philosophe fustige l'incapacité de nos institutions politiques et administratives à adopter les mesures imposées par la sauvegarde de l'environnement, appelant en conséquence à la reconstruction du système politique. En des termes choisis, la communauté internationale ne semble pas dire autre chose lorsqu'elle énonce par l'intermédiaire du principe 10 de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement durable de 1992 que « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient ».

La réforme des processus décisionnels en matière d'environnement fut d'ailleurs l'objectif principal de la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, signée à Aarhus le 5 juin 1998 (Convention d'Aarhus). En son préambule, ce texte énonce que le droit des citoyens à participer au processus décisionnel doit leur permettre non seulement de défendre leur droit à vivre dans un environnement sain mais également de s'acquitter de leur devoir de protéger et d'améliorer(6) ce dernier. Qualifiée par la doctrine la plus autorisée d'« instrument universel de la démocratie environnementale »(7), bien qu'elle s'en tint uniquement à la dimension administrative de l'action publique, cette Convention semblait pouvoir être le point de départ d'une réflexion plus large sur les relations entre gouvernés et gouvernants en matière environnementale.

Las ! Si les débats constituants autour de l'article 7 de la Charte de l'environnement ont bien souligné l'importance de la Convention d'Aarhus, le libellé finalement adopté par le Congrès en vertu duquel : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement » paraît finalement peu ambitieux. L'analyse révèle que la Convention d'Aarhus n'a pas été comprise par les congressistes comme le point de départ d'une réflexion plus large sur l'exercice du pouvoir politique par temps écologiques contraints mais plutôt comme un point d'achèvement, une sorte de standard à atteindre. Ainsi Madame Kosciusko-Morizet, rapporteuse sur le projet de Charte, précisait-elle qu'en « mettant en œuvre l'article 7 de la Charte, le législateur devra respecter les principes de la Convention d'Aarhus »(8).

Il peut toutefois paraître paradoxal d'entreprendre la critique de cette disposition. N'est-elle pas celle qui connaît le plus grand succès contentieux(9) ? N'a-t-elle pas entraîné, dans le sillage de multiples censures, nombre de réformes législatives(10) ? S'en tenant à l'observation du droit, il est incontestable que l'article 7 de la Charte, combiné à la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a eu un effet certain. Mais cet article réalise-t-il pour autant la promesse de reconstruction politique évoquée plus haut ? Y participe-t-il seulement ? Loin de permettre au public de se réapproprier les choix politiques environnementaux, le droit de participer tel que consacré par l'article 7 ne modifie pas véritablement les schémas institutionnels : son exégèse démontre plutôt l'extrême prudence dont le constituant a fait preuve il y a vingt ans (A). Prolongeant cette position, la jurisprudence du Conseil constitutionnel semble, à l'heure actuelle, tout aussi insusceptible de modifier nos processus décisionnels en profondeur (B).

A) L'œuvre (prudente) du constituant

Si la Charte de l'environnement a fait l'objet d'un processus normatif original(11), l'analyse des travaux constituants démontre que la question du droit de participer n'a pas fait l'objet de débats approfondis. On en veut pour preuve le sort de la proposition de la « Commission Coppens »(12), ignorée par le Gouvernement ; la faiblesse du nombre d'amendements déposés à son endroit par les congressistes(13) ; ou encore le fait que la formulation finalement retenue par ces derniers est rigoureusement la même que celle du projet de loi préparé par le Gouvernement. L'observateur peut certes déceler quelques avancées dans le libellé de l'article 7 (1), mais elles demeurent modestes au regard de ses impensés (2).

1. Des avancées

Sur le plan du positionnement normatif de la participation du public, il relève de l'évidence que sa consécration constitutionnelle témoigne, ne serait-ce que symboliquement, de l'importance qu'elle revêt désormais pour l'ordre juridico-politique. Au-delà de ce constat, le texte de l'article semble bien enrichir les traductions juridiques existant alors en droit national.

Concernant, tout d'abord, la nature même de la règle consacrée : alors que le Parlement n'avait prévu qu'un « principe de participation »(14) devant inspirer la loi – principe dont la portée est au demeurant fort limitée(15) – la création d'un « droit de participer » offrait logiquement des perspectives contentieuses intéressantes, même s'il aura fallu attendre la création du mécanisme de QPC en 2008 pour que le potentiel de l'article 7 se développe véritablement (nous y reviendrons).

Quant au fond, l'article 7 renforce assurément la participation du public en procédant à une double extension par rapport au principe législatif sus-évoqué. Ce dernier entretenait en effet une ambiguïté relative aux personnes appelées à participer. Il disposait tout à la fois que « chacun a accès aux informations relatives à l'environnement [...] et [que] le public est associé au processus d'élaboration des projets » susceptibles d'affecter l'environnement. Le terme « chacun » de la première proposition devait-il résumer « le public » de la seconde proposition ? Si l'on en croit les travaux préparatoires de la Charte, la réponse est oui. Madame Kosciusko-Morizet note ainsi que « l'article 7 est le premier de la Charte à rendre bénéficiaires d'un droit, non pas les personnes physiques (« chacun ») mais « toute personne », ce qui constitue une avancée d'importance dans le domaine de l'environnement, en raison du rôle actif qu'y jouent les associations »(16).

Par ailleurs, alors que le législateur n'avait prévu de participation du public que dans l'hypothèse de l'adoption de « projets ayant une incidence importante sur l'environnement », l'article 7 élargit le champ des normes concernées par la participation. D'une part, il substitue au terme réducteur et imprécis de « projets », celui de « décisions », ce qui permet non seulement de clarifier les normes visées mais également de les multiplier. D'autre part, il supprime la nécessité du caractère « important » de l'incidence sur l'environnement, ce qui, là encore, aurait dû avoir pour effet d'accroître le nombre des normes visées par l'article 7 même si, on le verra, le Conseil constitutionnel a réactivé cette limite. Bien qu'il ne s'apparente donc pas totalement à une constitutionnalisation à droit constant, l'article 7 présente néanmoins un certain nombre de lacunes intrinsèques qui remettent assez profondément en question sa valeur ajoutée(17).

2. Des impensés

Le constituant n'a effectivement pas jugé utile de préciser certains éléments procéduraux qui paraissent pourtant fondamentaux. C'est ainsi que le texte ne dit rien de la temporalité de la participation, pas plus que de la nature des responsables de son organisation ou de la portée des observations collectées.

Sans doute objectera-t-on que l'incise « dans les conditions et limites fixées par la loi » témoigne justement de la volonté du souverain de ne pas corseter le législateur, nombre de congressistes ayant d'ailleurs craint que la participation ne vienne entraver « l'action publique »(18). L'argument est néanmoins difficile à entendre puisque si l'objet de la participation n'est certes pas d'entraver l'action publique, il est bel et bien d'en modifier le régime d'énonciation. Au surplus, il apparaît que c'est en réalité moins l'action publique qui risque d'être entravée par la participation que la vision verticale et descendante qu'en ont les titulaires des pouvoirs politico-administratifs. Or c'est précisément en raison du déficit de légitimité de celle-ci que la participation est progressivement apparue. Un paradoxe certain se fait alors jour qui voit le constituant désirer que le public soit associé à l'élaboration des décisions sans pour autant que les décideurs ne soient contraints par cette association. Tout se passe finalement comme si les pouvoirs publics considéraient la participation du public davantage comme un « mal procédural nécessaire » auquel il leur faudrait sacrifier – et dont l'efficacité de l'action publique autoriserait que l'on s'en passe – plutôt que comme une opportunité réelle de parfaire leur choix en incluant les citoyens.

On pourrait également ajouter que lors des débats constituants, les congressistes ont considéré que la mise en œuvre de l'article 7 passait nécessairement par le respect des dispositions de la Convention d'Aarhus ; « c'est pourquoi il ne [leur a pas paru] nécessaire d'alourdir la rédaction en insérant des précisions »(19). L'argument surprend à nouveau. Il paraît, d'une part, assez étrange de s'en remettre à une convention internationale, nécessairement évolutive, pour l'application d'une norme constitutionnelle ; le constituant aurait été mieux inspiré de mobiliser une loi organique dont la raison d'être est justement de préciser le détail d'une disposition constitutionnelle. D'autre part, la Convention d'Aarhus, texte de compromis entre États hétérogènes, est loin de résoudre l'entièreté des questionnements laissés en suspens.

Si la temporalité du droit de participer est abordée aussi précisément que possible par le texte international – il doit se déployer « en amont » des processus décisionnels et selon un temps suffisant pour permettre une participation réelle(20) – tel n'est pas le cas de la portée que doivent revêtir les observations du public. Sans doute la Convention souligne-t-elle la nécessité pour les décideurs de « prendre en considération »(21) les observations du public, mais elle ne va guère plus avant, ce qui est à nouveau compréhensible compte tenu de la nature internationale de la norme. Il aurait sans doute été souhaitable que l'article 7 reprenne à son compte cette exigence de « prise en considération » des observations du public par les décideurs : le législateur aurait ainsi été sommé de véritablement repenser les rapports gouvernés/gouvernants. Du reste, la version la plus récente du principe législatif de participation prévu à l'article L.110-1 du code de l'environnement, bien que toujours dépourvue de portée contentieuse, intègre bel et bien ce souci(22).

Enfin, la Convention d'Aarhus ne dit rien de l'indépendance des structures organisatrices des procédures participatives. Sauf à faire preuve d'une improbable naïveté, on peut pourtant difficilement considérer qu'une procédure organisée par le décideur lui-même est en tout point équivalente à une procédure organisée par une instance indépendante. Le mouvement contemporain de réduction du champ d'application des procédures participatives menées par des autorités indépendantes – comme le débat public organisé sous l'égide de la Commission nationale du débat public ou l'enquête publique dirigée par un commissaire-enquêteur – au profit de concertations préalables ou de procédures électroniques calibrées par les décideurs, démontre d'ailleurs l'actualité de ce questionnement et l'inutilité de l'article 7. La participation du public connaît effectivement, à l'heure actuelle, une tendance inverse à celle de l'évaluation environnementale. Alors que le droit, notamment issu de l'Union européenne, ne cesse de défendre « l'autonomie réelle »(23) des organes chargés d'évaluer les projets ou décisions qui ont une incidence sur l'environnement, il semble de moins en moins regardant quant à celle des organes chargés d'organiser la participation.

Si un doute subsistait encore sur l'intérêt limité que présente le droit de participer à l'élaboration des normes ayant une incidence sur l'environnement tel que le prévoit la Charte, il n'y aurait qu'à rappeler que sa consécration en 2005 n'a pas conduit le législateur à modifier structurellement les procédures participatives déjà existantes. Les cadres du débat public, des différentes concertation(s) ou enquête(s) publique(s), etc. n'ont effectivement pas été réinterrogés de manière substantielle à l'aune de cette adjonction constitutionnelle. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, assez logiquement, est à l'image de cette modeste consécration.

B) La part (limitée) du Conseil constitutionnel

Si l'article 7 a été mobilisé à l'occasion de quelques recours contentieux a priori(24) ou de déclassement(25), ces derniers n'ont pas produit de décisions majeures pour la compréhension du droit de participer : nous nous permettons donc d'en écarter l'étude au profit de celle du contentieux a posteriori. En ce qui le concerne, dans la mesure où son étude exhaustive déborderait le cadre de cette contribution, nous nous permettons à nouveau de nous limiter aux seules décisions rendues par le Conseil constitutionnel qui nous paraissent les plus significatives. L'analyse, même réduite à portion congrue, confirme l'aperçu décevant évoqué plus haut : l'essentiel de la jurisprudence des sages de la rue de Montpensier porte sur la délimitation ambivalente(26) du champ d'application de l'article 7 (1), les décisions précisant sa substance ne répondant guère à ses insuffisances (2).

1. L'ambivalence du Conseil quant à la délimitation du champ d'application de l'article 7

Le Conseil constitutionnel a été conduit à plusieurs reprises à censurer des dispositions législatives – on compte plus d'une dizaine de censures d'après la doctrine spécialisée – pour « incompétence négative », c'est-à-dire en raison du fait que le législateur n'avait pas prévu l'intervention d'une procédure participative à l'occasion de l'adoption de décisions ayant une incidence sur l'environnement. L'hétérogénéité des dispositions concernées, qu'elles soient relatives aux installations classées soumises à autorisation(27), à la préservation du patrimoine floristique et faunistique(28), à la protection de l'eau(29), etc., semble démontrer le caractère général de l'article 7. Conformément au libellé de celui-ci, le juge constitutionnel vérifie donc en premier lieu si les décisions litigieuses sont bien des décisions publiques qui, en outre, ont « une incidence sur l'environnement »(30) et sanctionne celles qui ne prévoiraient pas l'association du public.

De façon moins convaincante, le Conseil constitutionnel est toutefois venu ajouter au champ d'application de l'article 7 en précisant que les procédures permettant la satisfaction du droit de participer ne s'imposaient qu'à l'occasion de décisions qui ont une incidence « directe et significative » sur l'environnement. À l'occasion de sa décision QPC n° 2012-282, le Conseil relève en effet « qu'en prévoyant que ne doivent être regardées comme « ayant une incidence sur l'environnement » que les décisions qui ont une incidence « directe et significative » sur l'environnement, le législateur a fixé au principe de participation des limites qui ne méconnaissent pas les exigences de l'article 7 »(31). Outre une maladresse rédactionnelle confondant « principe de participation » et « droit de participer », le Conseil valide la restriction législative de la participation aux seules décisions revêtant ces deux caractères, sans pour autant, il est vrai, interdire au législateur d'en avoir une vision plus large. À supposer que l'on considère la détermination du champ d'application de l'article 7 comme relevant des « limites » légales auxquelles il renvoie – ce qui n'est pas acquis en soi – une telle solution peut paraître conforme à la lettre du texte. Elle ne paraît toutefois pas conforme à son esprit.

D'une part, la Convention d'Aarhus, censée inspirer l'interprétation du Conseil, prescrit l'organisation de procédures participatives à l'occasion d'activités ou d'actes règlementaires ayant « un effet important » sur l'environnement ; formulation incontestablement plus large que celle retenue par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, ainsi qu'on l'a rappelé, les congressistes s'étaient enorgueillis de l'avancée que constituait l'article 7 par rapport à l'ancien article L.110-1 du code de l'environnement, le premier visant les « décisions ayant une incidence sur l'environnement », le second les « projets ayant une incidence importante sur l'environnement ». Or la possibilité laissée au législateur de restreindre la participation aux seules « décisions ayant une incidence directe et significative » sur l'environnement ne ressuscite-t-elle pas mutatis mutandis la limitation législative antérieure ? Il faut bien admettre que le Conseil se livre ici à une interprétation qui a pour effet d'atrophier le champ d'application du droit de participer et d'atténuer les exigences pesant sur le législateur. On retrouve cette mansuétude dans l'appréhension par les sages de la substance du droit de participer, qui ne semble pas avoir fait l'objet d'une attention particulière.

2. La substance réduite du droit de participer

Bien que faible en quantité, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a tout de même apporté deux précisions sur la matérialité du droit de participer. Le Conseil est ainsi venu encadrer (timidement) l'usage de « l'électronique » dans les processus participatifs. Dans une décision n° 2014-395 QPC(32), le Conseil censure un dispositif participatif prévu par la loi en précisant que si le législateur a fixé « la durée minimale pendant laquelle [le Schéma régional Climat Air Énergie de l'ancien article L.222-2 du Code de l'environnement] est mis à disposition du public et [a déterminé] la forme de cette mise à disposition, qui doit être faite notamment par voie électronique, [il] s'est borné à prévoir le principe de participation du public sans préciser « les conditions et limites » dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ». Même si c'est ici moins l'absence de procédure que son insuffisance qui est sanctionnée, il est à nouveau reproché au législateur de n'avoir pas épuisé sa compétence en renvoyant à un simple décret le soin de préciser les modalités de la procédure électronique. Il faut donc comprendre qu'à l'instar des contours de toute procédure participative, les contours d'une procédure électronique doivent être suffisamment précisés par la législation pour satisfaire les exigences de l'article 7. Le recours au numérique ne constitue donc pas un « blanc-seing » législatif à destination des décideurs, le Conseil ne s'interdisant pas d'en contrôler le contenu le cas échéant.

Les sages ont, enfin, affirmé que la participation indirecte du public, passant par l'intermédiaire de représentants, ne satisfait pas les exigences de l'article 7. Reprenant la logique de sa décision n° 2011-183/184 QPC(33), le Conseil constitutionnel est effectivement venu indiquer le 13 juillet 2012(34) que la saisine du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques à l'occasion de l'élaboration de prescriptions techniques applicables aux installations classées, ne suffisait pas à satisfaire le droit de participer énoncé par la Charte. La participation, au sens de l'article 7, ne peut donc qu'être directe ; en aucun cas l'action de représentants professionnels, syndicaux ou associatifs, ne saurait s'y substituer valablement. Dans une décision n° 2021-891 QPC, Association Générations futures et autres(35), le Conseil est venu confirmer cette jurisprudence. À propos de l'élaboration des chartes d'engagement départementales relatives à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, la Haute juridiction énonce que « le fait de permettre que la concertation ne se tienne qu'avec les seuls représentants des personnes habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées par des produits phytopharmaceutiques, ne satisfait pas les exigences d'une participation de « toute personne » qu'impose l'article 7 de la Charte de l'environnement. »

Si cette position renforce à l'évidence l'effectivité du droit de participer, son intransigeance semble néanmoins avoir pour effet d'exclure du champ d'application de l'article 7 le dispositif de « convention citoyenne » tel qu'il a été créé par l'article 4 de la loi organique du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental(36), dans la mesure où celui-ci suppose justement la constitution d'un public réduit mais représentatif de la société française. Cette situation paradoxale démontre bien le caractère sinon désordonné, au moins improvisé, des réformes tendant à améliorer notre système institutionnel. Elle invite donc à se réinterroger sur nos processus démocratiques contemporains, dont nous constatons chaque jour – en France comme ailleurs – qu'ils sont à bout de souffle.

(1): De l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes aux « méga-bassines » de Sainte-Soline en passant par le projet d'implantation d'un site de stockage de déchets nucléaires à Bure (Cigéo), la liste est longue des projets qui ont fait, ou font l'objet, de franches oppositions de la part d'une partie de la population.

(2): Le développement du « contentieux climatique » en est l'exemple le plus évident. Voir par ex. C. Cournil, « Les prémisses de révolutions juridiques ? Récents contentieux climatiques européens », RFDA, 2021, p. 957 et s. ; ou encore F. Savonitto, « Le Conseil constitutionnel et le contentieux climatique – Un acteur au milieu du gué », AJDA, 2022, p. 152 et s.

(3): Se souvient-on que la crise dite des « Gilets jaunes » débuta par le rejet de l'augmentation d'une taxe sur les carburants ?

(4): Entretien entre Cornélius Castoriadis et Roger Pol Droit, « La renaissance démocratique devra passer par la création de nouvelles formes d'organisation politique », Le Monde, 10 déc. 1991, p. 2.

(5): H. Jonas, Le principe de responsabilité – Une éthique pour la civilisation technologique [1979], Le Cerf, coll. « Passages », 1990, trad. J. Greisch.

(6): Paragr. 7 et 8 du préambule de la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, signée à Aarhus le 5 juin 1998.

(7): M. Prieur, « La Convention d'Aarhus, instrument universel de la démocratie environnementale », RJE, 1999, n° spé., p. 11 et s.

(8): N. Kosciusko-Morizet, Rapport relatif à la Charte de l'environnement, AN, n° 1595, 2004, p. 125.

(9): Ainsi que le souligne la professeure Van Lang, in A. Van Lang, « Le principe de participation : un succès inattendu », NCCC, 2014, n° 43, p. 25 et s. ; Voir également E. Chevalier, J. Makowiak, « Dix ans de QPC en matière d'environnement : quelle (r)évolution ? », Titre VII, 2020, p. 26.

(10): Voir par ex. la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement ; com. F. Jamay, JCP A, 2013, n° 19, p. 35 et s.

(11): Non seulement celle-ci fit l'objet d'un processus participatif mais elle a également, et surtout, été soumise à l'étude de la « Commission Coppens ».

(12): Commission Coppens, Rapport de préparation de la Charte de l'environnement, doc. fr., 2004, p. 25 : « La loi détermine les formes de démocratie participative qui permettent au public d'être associé à l'élaboration des politiques et décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. Elle organise les conditions d'exercice du droit de chacun à disposer des informations relatives à l'environnement ».

(13): On en compte à peine une dizaine.

(14): La formulation de l'article L.110-1 du code de l'environnement en vigueur en 2004 était ainsi (maladroitement) libellée : « 4 ° Le principe de participation, selon lequel chacun a accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses, et le public est associé au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire ».

(15): En dépit de quelques fluctuations, la jurisprudence du Conseil d'État semble désormais bien arrêtée à l'égard du principe législatif de participation : celui-ci n'est pas invocable au contentieux. Voir par ex. CE, 3 oct. 2008, n° 297931, Commune d'Annecy ; not. P. Billet, JCP A, 2008, n° 49, p. 26 et s.

(16): N. Kosciusko-Morizet, Rapport..., op. cit., p. 123-124.

(17): Le fait même que cet article n'ait pas son pendant dans la plupart des constitutions de nos voisins européens et que l'on n'y décide pourtant pas moins démocratiquement qu'en France interpelle également quant à la valeur ajoutée de son libellé.

(18): Voir, entre autres, l'intervention du député François Sauvadet, JORF, CR AN, 25 mai 2004, 2e séance, p. 4070.

(19): N. Kosciusko-Morizet, Rapport..., op. cit., p. 125.

(20): L'article 6 paragr. 3 de la Convention d'Aarhus prévoit par exemple que : « Pour les différentes étapes de la procédure de participation du public, il est prévu des délais raisonnables laissant assez de temps pour informer le public [...] et pour que le public se prépare et participe effectivement aux travaux tout au long du processus décisionnel en matière d'environnement ».

(21): Ainsi de l'article 6 paragr. 8 de la Convention, en vertu duquel : « Chaque partie veille à ce que, au moment de prendre la décision, les résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en considération ».

(22): Dans sa version actuelle, issue de la loi n° 2012-1460 précitée, l'article L.110-1 du code de l'environnement énonce que la législation s'inspire du « principe de participation en vertu duquel toute personne est informée des projets de décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement dans des conditions lui permettant de formuler ses observations, qui sont prises en considération par l'autorité compétente ».

(23): Voir par ex. CE, n° 463619 du 5 fév. 2024, Association Les amis de Beauregard.

(24): Par ex. Cons. const., déc. n° 2008-564 du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, obs. B. Mathieu, JCP G, 2009, n° 7, p. 42 ; ou encore, plus récemment, Cons. const., déc. n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, chr. L. Fonbaustier, EEI, 2021, n° 4, chr. n° 1.

(25): Par ex. Cons. const., déc. n° 2015-256 L du 21 juil. 2015, Nature juridique de dispositions relatives à divers organismes, paragr. 13 à 15 ; chron. L. Fonbaustier, EEI, 2019, n° 11, chr. n° 3.

(26): B. Cottet, « L'ambivalence du Conseil constitutionnel sur la portée du droit de participer à la prise de décision environnementale », RJE, 2013, n° 2, p. 302 et s.

(27): Cons. const., déc. n° 2012-262 QPC du 13 juil. 2012, Association France Nature Environnement [Projets de règles et prescriptions techniques applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à autorisation] ; not. K. Foucher, Constitutions, 2013, n° 4, p. 657 et s.

(28): Cons. const., déc. n° 2012-269 QPC du 27 juil. 2012, Union Départementale pour la Sauvegarde de la Vie, de la Nature et de l'Environnement et autres ; not. M. Moliner-Dubost, AJCT, 2012, n° 10, p. 492 et s.

(29): Cons. const., déc. n° 2012-270 QPC du 27 juil. 2012, Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles du Finistère ; not. M. Moliner-Dubost, op. cit.

(30): J. de Saint Sernin, « Les décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement : réflexion sur l'article 7 de la Charte de l'environnement », RJE, 2022, n° 2, p. 293.

(31): Cons. const., déc. n° 2012-282 QPC du 23 nov. 2012, Association France Nature Environnement et autre.

(32): Cons. const., déc. n° 2014-395 QPC du 7 mai 2014, Fédération environnement durable et autres ; not. P. Lutton, Constitutions, 2014, n° 2, p. 186 et s.

(33): Cons. const., déc. n° 2011-183/184 QPC du 14 oct. 2011, Association France Nature Environnement ; not. B. Delaunay, AJDA, 2012, n° 5, p. 260 et s.

(34): Cons. const., déc. n° 2012-262 QPC, op. cit.

(35): Cons. const., déc. n° 2021-891 QPC du 19 mar. 2021, Association Générations futures et autres; obs. M. Moliner-Dubost,AJCT, 2021, p. 323 et s.

(36): Art. 4-3 de la loi organique n° 2021-27 du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental : « Pour l'exercice de ses missions, le Conseil économique, social et environnemental peut, à son initiative ou à la demande du Premier ministre, du président de l'Assemblée nationale ou du président du Sénat, recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence. Il peut organiser une procédure de tirage au sort pour déterminer les participants de la consultation ».

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Raphaël BRETT. « De la non-démocratie environnementale : réflexion critique autour du droit de participer de l'article 7 de la Charte de l'environnement », Titre VII [en ligne], n° 13, L'environnement, novembre 2024. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/de-la-non-democratie-environnementale-reflexion-critique-autour-du-droit-de-participer-de-l-article