Décision n° 2024-6374 AN du 7 mars 2025
A.N., Nouvelle-Calédonie (2e circ.), M. Alcide PONGA et autres
Rejet
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 juillet 2024 d’une requête présentée pour M. Alcide PONGA, candidat à l’élection qui s’est déroulée dans la 2e circonscription de Nouvelle-Calédonie, M. Xavier ROSSARD, Mmes Vanessa WACAPO et Nadine JALABERT, électrices de cette circonscription, et au soutien de laquelle est intervenue l’association Le Rassemblement pour la Calédonie dans la République, par Me Caroline Plaisant, avocate au barreau de Nouméa, tendant à l’annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé dans cette circonscription les 30 juin et 7 juillet 2024 en vue de la désignation d’un député à l’Assemblée nationale. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-6374 AN.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution, notamment son article 59 ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;
- le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations du ministre de l’intérieur et des outre-mer, enregistrées le 26 septembre 2024 ;
- les mémoires en défense présentés par M. Emmanuel TJIBAOU, député, enregistrés les 4 octobre et 26 novembre 2024 ;
- le mémoire en réplique présenté pour MM. PONGA et ROSSARD, Mmes WACAPO et JALABERT et l’association Le Rassemblement pour la Calédonie dans la République par Me Plaisant, enregistré le 4 novembre 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
- Sur l’intervention de l’association Le Rassemblement pour la Calédonie dans la République :
1. L’association Le Rassemblement pour la Calédonie dans la République a demandé à intervenir dans la procédure introduite par la présente requête. Toutefois, la procédure d’intervention n’est pas prévue par les textes qui régissent le contentieux des élections législatives. Par conséquent, sa demande doit être rejetée.
- Sur l’annulation des opérations électorales :
2. M. PONGA, requérant, est arrivé, à l’issue du second tour du scrutin, en deuxième position derrière M. Emmanuel TJIBAOU, proclamé élu. L’écart de voix entre les deux candidats est de 13 404 voix. Les requérants soutiennent que des irrégularités constatées lors du second tour du scrutin et au cours de la campagne électorale sont de nature à fausser le résultat de l’élection.
. En ce qui concerne la composition des bureaux de vote :
3. Aux termes des trois premiers alinéas de l’article R. 42 du code électoral : « Chaque bureau de vote est composé d’un président, d’au moins deux assesseurs et d’un secrétaire choisi par eux parmi les électeurs de la commune. / Dans les délibérations du bureau, le secrétaire n’a qu’une voix consultative. / Deux membres du bureau au moins doivent être présents pendant tout le cours des opérations électorales ».
4. Les requérants soutiennent que dix-neuf bureaux de vote étaient irrégulièrement composés au second tour.
5. Il résulte toutefois de l’instruction que, contrairement à ce qui est soutenu, le bureau de vote n° 7 de la commune de Koné comprenait deux assesseurs. Par ailleurs, si les bureaux de vote nos 2 et 6 de la commune de Hienghène, nos 1, 2, 4 et 6 de la commune de Houaïlou, n° 6 de la commune de Kaala-Gomen, n° 1 de la commune de Pouébo et n° 2 de la commune de Yaté ne comportaient qu’un seul assesseur, cette insuffisance n’est pas de nature à justifier l’annulation des suffrages exprimés dès lors, d’une part, qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’elle ait eu pour objet ou pour effet de permettre des fraudes dans le déroulement du scrutin et, d’autre part, que l’instruction n’a pas permis de relever des écarts de voix dans ces bureaux de vote significativement différents de ceux observés dans les autres bureaux des communes de la circonscription revêtant des caractéristiques similaires.
6. En revanche, en l’absence de tout assesseur dans les bureaux de vote n° 1 de la commune de Belep, nos 1, 3, 8 et 10 de la commune de Hienghène, n° 5 de la commune de Houaïlou et nos 3, 4 et 5 de la commune de Pouébo, l’irrégularité ayant persisté pendant toute la durée des opérations électorales, il y a lieu de soustraire du nombre de voix obtenu par le binôme arrivé en tête un nombre de suffrages correspondant à l’écart de voix constaté en sa faveur dans ces bureaux, soit 2 715 voix.
. En ce qui concerne la présentation des bulletins de vote :
7. Les requérants soutiennent que, dans certains bureaux de vote, les bulletins de M. TJIBAOU ont été présentés, accompagnés d’une enveloppe, de manière à être saisis plus facilement par les électeurs que les bulletins de M. PONGA. Ce procédé n’est avéré que pour un bureau d’une commune de la circonscription, sans qu’il puisse être déterminé s’il a revêtu un caractère ponctuel ou s’il a persisté pendant toute la durée des opérations de vote. Il n’est pas établi qu’il en serait résulté une atteinte à la liberté et au secret du vote. Par ailleurs, si les modalités de présentation des bulletins aux électeurs, bien que ne faisant l’objet d’aucune prescription du code électoral, ne doivent pas entraîner de rupture d’égalité entre les candidats, il ne résulte pas de l’instruction que les faits dénoncés aient été, en l’espèce, de nature à altérer les résultats du scrutin, alors qu’il est constant que les bulletins de M. PONGA étaient disponibles dans le bureau en cause, qu’aucune contestation n’a été portée aux procès-verbaux des bureaux de la commune concernée et que l’écart de voix entre les candidats et le taux de participation observés dans celle-ci n’est pas significativement différent de ceux observés dans les communes de la circonscription revêtant des caractéristiques similaires.
. En ce qui concerne la propagande électorale :
8. Les requérants font valoir que des soutiens du candidat élu ont, en méconnaissance des dispositions du second alinéa de l’article L. 49 du code électoral, diffusé des messages en faveur de sa candidature sur les réseaux sociaux au-delà de la clôture légale de la campagne électorale pour le premier et le second tour de scrutin. D’une part, il n’est pas établi que la vidéo visible sur le compte « Nanosailofamtk » ouvert sur le réseau social « TikTok » ait été publiée le 7 juillet 2024. D’autre part, les autres messages diffusés sur le réseau social « Facebook » incitaient les électeurs à voter en faveur des candidats des partis indépendantistes en les informant de l’organisation de moyens de transport vers les bureaux de vote. Toutefois, eu égard à la teneur et à l’audience de ces messages, et compte tenu de l’écart des voix entre les candidats, après prise en compte des déductions qui doivent être opérées en conséquence des griefs précédents, ces irrégularités, pour regrettables qu’elles soient, ne sauraient être regardées comme ayant pu influer sur le résultat du scrutin.
. En ce qui concerne les atteintes à la sécurité des candidats et des électeurs :
9. En premier lieu, les requérants font valoir que la campagne électorale s’est déroulée dans un contexte de troubles graves à l’ordre public en Nouvelle-Calédonie, M. PONGA ainsi que plusieurs de ses soutiens ayant fait l’objet d’intimidations et ayant dû renoncer à faire campagne dans certaines parties de la circonscription. Il résulte de l’instruction que les élus du territoire, indépendantistes et non-indépendantistes, ont été la cible de violences et de menaces ayant conduit le ministre de l’intérieur et des outre-mer à mettre en place des mesures de protection policière à compter de la mi-mai 2024. Alors que ces troubles ont perturbé la campagne de l’ensemble des candidats et eu égard à l’écart de voix séparant les candidats, il n’est pas avéré que les faits dénoncés, pour condamnables qu’ils puissent être, aient été de nature à altérer les résultats du scrutin.
10. En deuxième lieu, les requérants font valoir que les barrages mis en place sur les axes routiers ont empêché l’accès à certains bureaux de vote le jour du second tour et que les actes de violence envers les personnes et les biens commis par les émeutiers ont dissuadé les électeurs d’aller voter, en particulier dans la commune de Mont-Dore. Il résulte de l’instruction que, en dépit du contexte de tensions très élevé, tous les bureaux de vote de la circonscription étaient ouverts le jour du second tour, les maires ayant, en concertation avec les services de l’État, regroupé les bureaux de vote de leurs communes dans des sites sécurisés permettant au plus grand nombre d’électeurs d’y accéder. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer indique que de nombreux barrages avaient été levés le week-end du second tour afin de permettre aux électeurs d’aller voter. En ce qui concerne, plus particulièrement, la commune de Mont-Dore, les bureaux de vote du sud de la commune ont été délocalisés afin d’éviter que les électeurs n’aient à emprunter des axes routiers non sécurisés, un service de navettes maritimes gratuit ayant, en outre, été mis en place pour les acheminer vers les lieux de vote. Alors que les taux de participation au second tour de l’élection dans les bureaux de vote de la commune de Mont-Dore ne sont pas manifestement inférieurs à ceux qui ont été observés dans les autres communes de la circonscription, eux-mêmes sensiblement plus élevés que les taux de participation observés lors des élections législatives de 2022, il n’est pas établi qu’un nombre significatif d’électeurs ait été empêché d’aller voter dans la circonscription.
11. En dernier lieu, si les requérants produisent l’attestation d’une élue non-indépendantiste dénonçant des intimidations exercées auprès d’un membre de sa famille, il n’est pas établi que de telles pratiques aient revêtu un caractère autre qu’exceptionnel.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de MM. PONGA et ROSSARD et de Mmes WACAPO et JALABERT doit être rejetée.
- Sur les conclusions tendant au remboursement des frais non compris dans les dépens :
13. Les requérants demandent qu’une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l’État en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables devant le Conseil constitutionnel. Dès lors, de telles conclusions ne peuvent être accueillies.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La demande d’intervention de l’association Le Rassemblement pour la Calédonie dans la République est rejetée.
Article 2. - La requête de MM. Alcide PONGA et Xavier ROSSARD et de Mmes Vanessa WACAPO et Nadine JALABERT est rejetée.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 18 du règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs.Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 mars 2025, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 7 mars 2025.
JORF n°0058 du 8 mars 2025, texte n° 61
ECLI : FR : CC : 2025 : 2024.6374.AN
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