Décision n° 2024-872 DC du 14 novembre 2024
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, le 7 novembre 2024, par le Premier ministre, sous le n° 2024-872 DC, conformément au cinquième alinéa de l’article 46 et au premier alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle‑Calédonie.
Le même jour, le Premier ministre a demandé au Conseil constitutionnel de statuer selon la procédure d’urgence prévue au troisième alinéa de l’article 61 de la Constitution.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- l’accord sur la Nouvelle-Calédonie, signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 modifiée relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- la loi organique n° 2024‑343 du 15 avril 2024 portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle‑Calédonie ;
- le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des pièces suivantes :
- l’avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie du 22 octobre 2024 ;
- les observations du Gouvernement, enregistrées le 8 novembre 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La loi organique soumise à l’examen du Conseil constitutionnel a été prise sur le fondement de l’article 77 de la Constitution.
2. Aux termes des premier, troisième et quatrième alinéas de cet article :
« Après approbation de l’accord lors de la consultation prévue à l’article 76, la loi organique, prise après avis de l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre : …
« - les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie … ;
« - les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l’emploi et au statut civil coutumier ».
3. Il résulte des dispositions du premier alinéa de l’article 77 de la Constitution que le contrôle du Conseil constitutionnel sur la loi organique doit s’exercer non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations définies par l’accord de Nouméa, lequel déroge à un certain nombre de règles ou principes de valeur constitutionnelle. Toutefois, de telles dérogations ne sauraient intervenir que dans la stricte mesure nécessaire à la mise en œuvre de l’accord.
4. L’accord de Nouméa, en son point 2.1.2, stipule : « Le mandat des membres du Congrès et des assemblées de province sera de cinq ans ».
- Sur la procédure :
5. La loi organique soumise à l’examen du Conseil constitutionnel a pour objet de reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, par dérogation à certaines dispositions de la loi organique du 19 mars 1999 mentionnée ci-dessus, prise en application de l’article 77 de la Constitution à la suite de l’approbation par les populations consultées de l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998. La proposition de loi organique à l’origine de la loi déférée a, dans les conditions prévues à l’article 90 de la loi organique du 19 mars 1999, fait l’objet d’une consultation du congrès de la Nouvelle-Calédonie avant que le Sénat, première assemblée saisie, délibère en première lecture sur cette proposition. Elle a été soumise à la délibération et au vote du Parlement conformément aux trois premiers alinéas de l’article 46 de la Constitution. Ainsi, les dispositions de la loi organique ont été adoptées dans les conditions prévues par la Constitution.
- Sur le fond :
6. L’article 1er de la loi organique déférée prévoit, par dérogation au premier alinéa de l’article 187 de la loi organique du 19 mars 1999 selon lequel les élections aux assemblées de province ont lieu dans le mois qui précède l’expiration du mandat des membres sortants, que les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province ont lieu au plus tard le 30 novembre 2025. Il proroge en conséquence les mandats en cours de leurs membres jusqu’au jour de la première réunion des assemblées élues à l’issue de ce renouvellement général. Il précise en outre que la liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l’article 189 de la même loi organique sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.
7. S’il résulte du point 2.1.2 de l’accord de Nouméa que la durée du mandat des membres du congrès et des assemblées de province est de cinq ans, cette exigence ne fait pas obstacle à ce que le législateur organique, compétent en application de l’article 77 de la Constitution pour déterminer les règles relatives au régime électoral applicable en Nouvelle-Calédonie, puisse, à titre exceptionnel, modifier cette durée dans un but d’intérêt général et sous réserve du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, notamment ceux résultant de l’article 3 de la Constitution.
8. Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient donc pas de rechercher si le but que s’est assigné le législateur pouvait être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif.
9. En premier lieu, la loi organique du 15 avril 2024 mentionnée ci-dessus avait initialement reporté, au plus tard au 15 décembre 2024, les élections des membres du congrès et des assemblées de province et prorogé en conséquence les mandats en cours de leurs membres pour une durée de sept mois au plus.
10. Il résulte des travaux préparatoires de la loi organique déférée que le législateur a estimé que, dans la situation de crise de la Nouvelle-Calédonie, les conditions d’organisation de ce scrutin n’étaient pas réunies et que de telles circonstances justifiaient en conséquence de prévoir un nouveau report des élections des membres du congrès et des assemblées provinciales afin de permettre la reprise du dialogue entre les partenaires politiques de l’accord de Nouméa sur l’avenir institutionnel de la collectivité. Ce faisant, il a poursuivi un but d’intérêt général.
11. En second lieu, ce nouveau report, pour une durée maximale de onze mois, a pour effet de porter à dix-huit mois au plus la durée cumulée du report des élections. La prorogation des mandats qui accompagne ce report revêt un caractère exceptionnel et transitoire.
12. Dès lors, le choix fait par le législateur organique n’est pas manifestement inapproprié à l’objectif qu’il s’est fixé.
13. Il résulte de ce qui précède que l’article 1er est conforme à la Constitution.
14. L’article 2, qui proroge les fonctions des membres des organes du congrès en cours jusqu’au jour de la première réunion du congrès nouvellement élu en application de la présente loi organique, n’appelle pas de remarque de constitutionnalité. Il est conforme à la Constitution.
15. Il en va de même de l’article 3, qui fixe les conditions d’entrée en vigueur de la loi organique.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle‑Calédonie est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 novembre 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 14 novembre 2024.
JORF n°0271 du 16 novembre 2024, texte n° 4
ECLI : FR : CC : 2024 : 2024.872.DC