Décision n° 2024-1111 QPC du 15 novembre 2024
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 septembre 2024 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1144 du 3 septembre 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le syndicat d’aménagement de la vallée de l’Indre par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1111 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l’environnement ;
- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ;
- l’arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 2020 (chambre criminelle, n° 19-80.091) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le syndicat d’aménagement requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 25 septembre 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées par l’association France nature environnement, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour le syndicat d’aménagement requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées les 30 septembre et 8 octobre 2024 ;
- les secondes observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 octobre 2024 ;
- les secondes observations en intervention présentées par l’association intervenante, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Philippe Narcy, avocat au barreau de Paris, pour le syndicat d’aménagement requérant, Me Alexandre Faro, avocat au barreau de Paris, pour l’association intervenante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 5 novembre 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article L. 216-13 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 août 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« En cas de non-respect des prescriptions imposées au titre des articles L. 181-12, L. 211-2, L. 211-3 et L. 214-1 à L. 214-6 ou des mesures édictées en application de l’article L. 171-7 du présent code ou de l’article L. 111-13 du code minier, le juge des libertés et de la détention peut, à la requête du procureur de la République, agissant d’office ou à la demande de l’autorité administrative, de la victime ou d’une association agréée de protection de l’environnement, ordonner pour une durée d’un an au plus aux personnes physiques et aux personnes morales concernées toute mesure utile, y compris la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale.
« En cas d’ouverture d’une information, le juge d’instruction est compétent pour prendre dans les mêmes conditions les mesures prévues au premier alinéa.
« La décision est prise après audition de la personne intéressée, ou sa convocation à comparaître dans les quarante-huit heures, ainsi que de l’autorité administrative, la victime, ou l’association agréée de protection de l’environnement si elles en ont fait la demande.
« Elle est exécutoire par provision et prend fin sur décision du juge des libertés et de la détention ou lorsque la décision au fond est devenue définitive.
« La personne concernée ou le procureur de la République peut faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention dans les dix jours suivant la notification ou la signification de la décision.
« Le président de la chambre d’instruction ou de la cour d’appel, saisi dans les vingt-quatre heures suivant la notification de la décision du juge d’instruction ou du tribunal correctionnel, peut suspendre la décision jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel, sans que ce délai puisse excéder vingt jours.
« Les dispositions du présent article s’appliquent également aux installations classées au titre du livre V (titre Ier) ».
2. Le requérant reproche à ces dispositions de ne pas prévoir que la personne concernée par les mesures ordonnées par le juge des libertés et de la détention est informée de son droit de se taire lors de son audition, alors même que celle-ci porte sur des faits pour lesquels elle pourrait être mise en cause pénalement et que ses déclarations pourraient être portées à la connaissance de la juridiction de jugement. Il en résulterait une méconnaissance des exigences de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « après audition de la personne intéressée » figurant au troisième alinéa de l’article L. 216-13 du code de l’environnement.
4. La partie intervenante est fondée à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de constitutionnalité dans la seule mesure où son intervention porte sur les dispositions contestées. Elle soutient également que ces dispositions méconnaîtraient les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789.
5. Selon l’article 9 de la Déclaration de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire.
6. En application du premier alinéa de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, en cas de non-respect de certaines prescriptions environnementales, le juge des libertés et de la détention peut, à la requête du procureur de la République, ordonner aux personnes physiques et morales concernées toute mesure utile, y compris la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale.
7. Selon les dispositions contestées, la décision du juge des libertés et de la détention est prise après audition de la personne intéressée.
8. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, d’une part, les mesures que ce juge peut ordonner ont pour seul objet de mettre un terme ou de limiter, à titre conservatoire, les effets d’une pollution dans un but de préservation de l’environnement et de sécurité sanitaire. D’autre part, le prononcé de telles mesures n’est pas subordonné à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale.
9. Les dispositions contestées n’ayant pas pour objet de prévoir l’audition par le juge d’une personne mise en cause pour les faits sur lesquels elle est entendue, elles n’impliquent pas que cette personne se voie notifier son droit de se taire. Par suite, la seule circonstance que cette personne soit entendue sur des faits qui seraient susceptibles de lui être ultérieurement reprochés ne saurait être contestée sur le fondement des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789.
10. En revanche, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître ces mêmes exigences, permettre au juge des libertés et de la détention d’entendre la personne concernée sans qu’elle soit informée de son droit de se taire lorsqu’il apparaît qu’elle est déjà suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est entendue, dès lors que ses déclarations sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement.
11. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
12. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous la réserve énoncée au paragraphe 10, être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 10, les mots « après audition de la personne intéressée » figurant au troisième alinéa de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 novembre 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 15 novembre 2024.
JORF n°0271 du 16 novembre 2024, texte n° 85
ECLI : FR : CC : 2024 : 2024.1111.QPC