Décision n° 2024-865 DC du 7 mai 2024 - Communiqué de presse
Saisi de la loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes, le Conseil constitutionnel valide son article incriminant la provocation à abandonner un traitement médical ou à adopter certaines pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique
Par sa décision n° 2024-865 DC du 7 mai 2024, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes, dont il avait été saisi par deux recours émanant, l’un, de plus de soixante députés et, l’autre, de plus de soixante sénateurs.
Était notamment contesté par les auteurs des recours, au regard du principe de légalité des délits et des peines et de la liberté d’expression et de communication, l’article 12 de cette loi qui réprime d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la provocation à abandonner ou s’abstenir de suivre un traitement médical ainsi que la provocation à adopter des pratiques, présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique, exposant à un risque immédiat de mort ou de blessures graves.
* En réponse au grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, la décision de ce jour du Conseil constitutionnel rappelle que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution - qui prévoit que « La loi fixe les règles concernant… la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » - ainsi que du principe de légalité des délits et des peines - qui résulte de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 - l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.
- À cette aune, s’agissant de l’incrimination de la provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical, prévue par le premier alinéa du nouvel article 223-1-2 du code pénal, le Conseil constitutionnel relève, en premier lieu, d’une part, que le comportement réprimé par ces dispositions doit se matérialiser par des pressions ou des manœuvres réitérées tendant à l’abandon ou à l’abstention d’un traitement médical. Cet abandon ou cette abstention doit être présenté comme bénéfique pour la santé de la personne concernée. D’autre part, le délit n’est constitué que s’il est constaté que cet abandon ou cette abstention est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner des conséquences particulièrement graves pour la santé physique ou psychique de la personne, compte tenu de la pathologie dont elle est atteinte. Il doit être établi que l’auteur a conscience que cet abandon ou cette abstention pourrait exposer cette personne à de telles conséquences.
En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel constate qu’il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que la provocation doit être adressée à toute personne atteinte d’une pathologie. Dès lors, la seule diffusion à destination d’un public indéterminé d’informations tendant à l’abandon ou à l’abstention d’un traitement médical ne saurait être regardée comme constitutive de pressions ou de manœuvres au sens des dispositions contestées. Ces dispositions ne peuvent donc permettre que la répression d’actes ayant pour but d’amener une personne ou un groupe de personnes visées à raison de la pathologie dont elles sont atteintes à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical.
En dernier lieu, le Conseil constitutionnel observe qu’il résulte du quatrième alinéa de l’article 223-1-2 du code pénal que le délit n’est pas constitué lorsque les circonstances dans lesquelles a été commise la provocation permettent d’établir la volonté libre et éclairée de la personne, eu égard notamment à la délivrance d’une information claire et complète quant aux conséquences pour la santé, à moins qu’il soit établi que cette personne était placée ou maintenue dans un état de sujétion psychologique ou physique, au sens de l’article 223-15-3 du même code dans sa rédaction résultant de l’article 3 de la loi déférée. Toutefois, ces dispositions ne peuvent s’appliquer que lorsque la provocation est commise envers une ou plusieurs personnes déterminées.
Dès lors, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions instituant le délit contesté ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour garantir contre le risque d’arbitraire.
- S’agissant de l’incrimination de la provocation à adopter certaines pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique, prévue par le deuxième alinéa du nouvel article 223-1-2 du code pénal, le Conseil constitutionnel relève qu’il résulte de ces dispositions que ce délit n’est constitué que si son auteur diffuse des informations tendant à promouvoir l’adoption de pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique alors qu’il est manifeste que, en l’état des connaissances médicales, ces pratiques exposent à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. Il doit être établi que l’auteur de la provocation a conscience que ces pratiques pourraient exposer les personnes qui les adoptent à de telles conséquences.
Dès lors, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions instituant le délit contesté ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour garantir contre le risque d’arbitraire.
Par l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel écarte le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.
* En réponse au grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’expression et de communication, le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L’article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. Cependant, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.
À cette aune, le Conseil constitutionnel relève, en premier lieu, que, en instituant les délits prévus par les dispositions contestées, le législateur a entendu lutter contre la promotion des comportements ou des pratiques présentés comme thérapeutiques ou prophylactiques alors qu’ils sont susceptibles de mettre en danger la santé des personnes. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé, de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions.
En second lieu, d’une part, pour les mêmes motifs que ceux énoncés en réponse au grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, le Conseil constitutionnel juge que les faits incriminés sont précisément définis et ne créent pas d’incertitude sur la licéité des comportements susceptibles d’entrer dans le champ de ces délits.
D’autre part, il relève qu’il résulte du cinquième alinéa de l’article 223-1-2 du code pénal que ne peut être poursuivie du chef de ces délits la personne qui procède, en qualité de lanceur d’alerte, au signalement ou à la divulgation d’une information dans les conditions prévues par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Par ces motifs, le Conseil constitutionnel juge que l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication par les dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi. Il écarte donc le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté.
* Par ailleurs, la décision de ce jour censure comme cavalier législatif, c’est-à-dire comme irrégulièrement introduit dans la loi au regard de l’article 45 de la Constitution, l’article 2 de la loi déférée.